S'adressant au pauvre, à l'opprimé, à l'ignorant, la religion
a cherché à captiver l'âme et la partie morale de l'individu, mais elle s'est
fort peu souciée — ou pas du tout — du mental pensant, satisfaite de le laisser
dans l'obscurité si le coeur pouvait être persuadé de sentir la vérité
religieuse. De même, quand les barbares s'emparèrent du monde occidental,
l'Église se contenta de les christianiser mais ne considéra pas que ce fût son
rôle de les intellectualiser. Se méfiant même du libre jeu de l'intelligence,
l'esprit clérical et monastique chrétien devint anti-intellectuel, laissant aux
Arabes le soin de réintroduire les rudiments d'une connaissance scientifique et
philosophique dans une chrétienté semi-barbare, puis à l'esprit semi-païen de
la Renaissance, suivi d'une longue lutte de la religion et de la science, le
privilège de compléter le retour d'une libre culture intellectuelle et la
réémergence mentale de l'Europe. La connaissance doit être militante si elle
choisit de survivre et de se perpétuer; admettre une ignorance généralisée,
au-dessous ou alentour, c'est exposer l'humanité au danger perpétuel d'une
rechute dans la barbarie.
Sri Aurobindo,
Le cycle humain, chp.VIII, Civilisation et Barbarie
Les forces de l’ignorance n'ont pas de camp, ni de
drapeau, ni de religion. Elles s'établissent et prolifèrent lorsque la
connaissance laisse la place à l'ignorance et à la non-conscience. Elles
prétextent se revendiquer d'un camp, d'une idéologie, d'une politique pour
s'établir sur le terreau de l'infertilité culturelle et intellectuelle, là où
la raison a laissé place aux croyances et au besoin de pouvoir, qu'il soit
religieux ou politique et aux élans vitaux de l'ego assoiffé de s'affirmer. Là
où l'on croit qu'elles s'agitent et où il faut les combattre, les forces
d'ignorances ne font qu'établir la tentative de se répandre partout en
exacerbant la possibilité d'attiser l'ignorance en réponse à leurs actions
destructrices. La haine , la destruction, l'obscurantisme sous toutes ses
formes se répandent alors là où ils ne semblaient pas être à l'origine.
Les forces adverses de la Connaissance et de la Lumière de l'esprit n'ont ni
couleur, ni nations , ni religion, elles transmigrent là où l'opportunité d'assouvir
leur règne est le plus propice à leur dessein. Lorsqu'elles apparaissent ou
réapparaissent à une époque donnée elles font courir le danger de se répandre
si on ne les combat pas là où leur visage apparait, mais aussi là où elles
tentent d'émerger sous d'autres visages d'apparence moins évidente. Leur
attaque est double: détruire la civilisation porteuse de valeurs humaines et de
liberté de conscience et s'établir dans le coeur des hommes pour l'asservir par
la peur, la souffrance et l'ignorance. Leur stratégie est double et insidieuse:
se servir d'une portion de l’humanité plus ignorante qu'une autre pour faire
grandir l'ignorance dans l'autre portion de l’humanité sans que celles-ci s’en rendent
compte en lui faisait croire qu'elle combat l'autre. Mais le combat est bien
plus large et profond qu'il n'y parait, il s'agit d'un défi lancé à l’humanité
pour déraciner en son coeur et en sa conscience tout ce qui sert l'ignorance -
fondamentalement toujours sans visage - et tout ce qui est propice à sa prolifération.
De tout temps, ces forces adverses se sont manifestées et ont poussé l’humanité
à évoluer et à faire le choix de les repousser. Mais le plus grand défi est
qu'elles ne puissent plus s'établir sur la Terre et par conséquent ne plus
trouver de résonance dans l'esprit et le coeur d'une Humanité soumise aux
tribulations de son ego, de son mental obscur, de son vital non purifié, de ses
limitations corporelles. De tout temps et en tout lieu la religion a été le
plus grand vecteur de l'ignorance et a servi l'illusion de pouvoir se
débarrasser d'un obscurantisme en en brandissant un autre, plus consensuel ou plus
fédérateur. L'intelligence suprême de l'Univers, qui est au coeur de toute
conscience et de tout coeur humain pousse l'humanité à évoluer au travers du défi de se
démettre une bonne fois pour toutes de toute religion, qu'elle quel soit, ou de
s'y soumettre si l'âme et la raison sont faibles et dominées par le petit ego
cherchant à survivre coute que coute. De plus grands egos en seront les maîtres
et feront croire qu'ils détiennent une Vérité bienfondée. L'Humanité n'a jamais
été face à un défi d'une telle envergure, et son défi est d'abord une unité
pour répondre aux premiers signes extérieurs de manifestation de cette ignorance
et ensuite établir une bonne foi pour toutes les conditions d'une paix durable
par l'éducation, la fraternité, la prospérité partagée, la liberté universelle
d'expression, la compassion globalisée, afin que chacun sur toute la Terre
puisse en soi suivre son évolution et poursuivre l'Évolution. La connaissance
ne peut s’accommoder de demis-vérités, que ce soi dans le domaine spirituel
comme ailleurs, et par conséquent pour se manifester la connaissance doit
être militante. Ce combat est avant tout un combat intérieur de faire le
choix de repousser les tentatives de l'ego à prendre le pouvoir sur notre
conscience et de rester vigilant à ne pas sombrer à chaque instant dans
l'inconscience et les réactions primaires qui s'en suivent. Notre combat
quotidien est d'ouvrir notre conscience à une conscience plus vaste, plus
profonde, plus active et plus pénétrante et de manifester par tout notre être et
nos capacités cette Conscience.
Sylvère