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La création de ce site part du constat que chaque chercheur sur le chemin de l'évolution spirituelle est un trouveur potentiel ou effectif, pouvant dans un partage sincère de ses expériences, accomplir des ouvertures pour d'autres consciences en développement... Lire la suite

01/03/2018

Méditation sur la Vie avec Mataji



Une belle présence s'en est allée... Une photo suffit pour percevoir 
l'intégrité et la profondeur de cette présence. Un ami m'a communiqué
ce texte d'hommage a Mataji, Tenzin Pentok. Un témoignage d'une vie,
une courte biographie par Océane Plockyn d'après les entretiens qu'elle
a réalisés durant ces dernières années avec Mataji. Simplicité et force.
Tout témoignage est une lumière sur le chemin de la vie, sur la vie...    



Appelez-moi Tenzin Pentok !


Dans son petit studio modeste, de grandes âmes règnent en maîtres, transformant ces quelques mètres carrés en un sanctuaire d’espoir et de lumière. Le Dalaï Lama, en couleur ou en noir et blanc, omniprésent dans les quatre directions de l’appartement, prend la pose sur des portraits, vestiges et trésors de nombreuses années de dévotion. Les photos ne mentent pas, et certaines traduisent avec émotion le respect et l’affection réciproque qui unissent le Maître à son disciple. Loquace mais pudique, Mataji se contente de sourire avec tendresse, sans trop s’étendre sur son rapport privilégié avec Sa Sainteté. Les mots seraient insuffisants, sans mesure avec la force de l’amour qu’elle porte à celui qui « par bonté, s’est mis au service de l’humanité ». Nul n’est besoin d’en dire davantage, l’éclat rieur et sage de ses yeux cristallins nous livre son message.


***

      Je m’appelle Ani Tenzin Pentok. C’est ainsi que mon Maître, Sa Sainteté le Dalaï Lama m’a nommée lorsqu’il m’a ordonnée. Je tiens énormément à ce nom, cher à mon cœur du fait de sa provenance et de sa bénédiction. Pourtant, il reste muet, si peu souvent murmuré. Où que je me rende sur cette terre, quoi que je fasse, c’est sous le pseudonyme de Mataji que l’on m’identifie. C’est ennuyeux ! Ce n’est pas que je n’apprécie pas «Mataji», qui pourrait s’en offusquer quand on saisit tout l’amour et le respect, entre ces trois syllabes évoqués ? Mata signifie Mère, en hindi, et Ji est, en Inde, le suffixe attribué aux êtres vénérés. C’est donc un cadeau adorable que de m’appeler ainsi, et je manquerais de gratitude si je ne m’en montrais pas ravie; mais je reconnais que cela est source de soucis aussi, car je n’utilise pas le nom choisi par mon Maître et entre nous, oui, cela m’ennuie.  
      Cette dénomination hindoue, je la tiens de l’époque où je fis construire un hôpital pour le soin des lépreux en Inde. Ce fut une étape importante de ma vie, et mon lien à l’Inde ne s’est pas dénoué depuis, ce n’est donc finalement pas anodin que cet ancrage se soit incrusté durablement, suivant ma trace, me devançant quelques fois, s’imposant ici et là. Qu’y puis-je ? Il m’a bien fallu lâcher prise. Car il faut bien que je réponde lorsque quelqu’un m’appelle ! Mais dans mon cœur, en secret, je ne suis personne d’autre qu’Ani Tenzin Pentok, nonne bouddhiste et disciple reconnue par le Dalaï Lama. J’ai fêté mes quatre-vingt-seize ans le 10 juin 2017 et je quitterai bientôt cette précieuse vie humaine avec un doux sentiment de devoir accompli. Une vie bien remplie, de joies et de souffrances aussi, dédiée au chemin bouddhiste. Je ne suis rien de plus qu’une éternelle étudiante du Dharma, qui écoute et écoutera les enseignements jusqu’à son dernier souffle, avec assiduité, mais si vous le souhaitez je veux bien vous confier quelques mots de moi, avant de m’en aller...

Prendre soin des êtres

      Je suis née en Lorraine, dans une famille catholique. Maman, sérieuse pratiquante, m’a transmis très tôt son amour pour Jésus Christ, que j’ai prié à mon tour avec ferveur et sincérité. Comme je fus élevée dans ce contexte de charité et de compassion, le souhait d’aider les autres s’est activé naturellement dès mon plus jeune âge, sans jamais s’estomper, restant le fil conducteur de mon parcours de vie. L’attention et le soin portés aux êtres prirent des formes diverses et variées au fur et à mesure de mon existence : pour commencer, j’envisageais davantage le monde médical que la vie monastique pour contribuer à améliorer le sort de mon prochain, et je me suis engagée dans d’ambitieuses études de médecine. Puis je poursuivis cet engagement quelques années plus tard avec la construction de cet hôpital pour les personnes souffrant de la lèpre en Inde, et devins par la suite instructrice de yoga, plus axée sur les souffrances du corps, avant de m’orienter finalement vers les maux de l’esprit via le Bouddhisme et ma robe rouge de nonne.  
       Ma motivation pour les études de médecine s’avéra aussi intense que les obstacles qui entravèrent ce plan de carrière. D’abord la guerre qui fige tout sur son passage, suspendant la vie, les projets, les envies. Puis la tuberculose, qui me frappa par deux fois ; et les deux années interminables passées au sanatorium sonnèrent le glas de cette ambition. De trop longues pauses inappropriées, trop de difficultés pour mener à bien ce projet. Qu’importe la blouse de médecin, je m’orienterai vers la recherche médicale pour contribuer, d’une autre manière, au service de mes congénères. Je pris donc cette direction jusqu’à ce qu’un collègue bien avisé m’offrit une autre opportunité : m’essayer au costume de visiteuse médicale. L’expérience fut concluante, et, sans les qualifications requises, je m’installais dans cette fonction, soutenue par mes parents qui m’offrirent même le véhicule nécessaire à tous mes déplacements. Je prenais cette mission très à cœur, avec un enthousiasme débordant. Un double sentiment de liberté de mouvement et d’utilité m’habitait alors, signe que j’étais sur la bonne voie. Dans le cadre de mes visites, je me suis liée d’amitié avec un vieux docteur passionnant, amoureux fou de l’Inde, qui m’introduisit à cette culture ancestrale, à ce pays mystérieux, jusqu’à ce que l’envie de le découvrir à mon tour ne devienne irrésistible. Il m’avait transmis le virus !  En parallèle de mes activités professionnelles, je fréquentais également de plus en plus assidûment la Société Théosophique, square Rapp à Paris, ce qui contribua à renforcer mon désir d’évasion indienne, pour approcher de plus près cette philosophie mystique.

Premiers pas vers l’Inde

      Encouragée par mes amis de la Société Théosophique, je prenais un billet pour le Sud de l’Inde, direction Adyar, le berceau de cette mouvance intellectuelle dont Krishnamurti fut d’ailleurs un membre actif. En effet, KrishnaJi, qui devint par la suite un ami, s’y investit jusqu’à en décliner la présidence, trop avide de liberté pour suivre un chemin déjà tracé. Je ne connaissais pas encore le Bouddhisme à cette époque de ma vie, je le regrette car avec le recul, j’aurais adoré échanger avec lui sur ce sujet et sur sa frilosité à rallier des dogmes ou des philosophies établies. De longs débats manqués... à reporter pour une prochaine vie, qui sait ?!
      C’est à Adyar que je fis la connaissance de Sri Ram, le Président International de la Société Théosophique, et du Dr Shiva Kamu, qui deviendra ma seconde maman, chérie autant que ma mère naturelle pour qui j’éprouvais aussi un amour inconditionnel. D’ailleurs, maman savait, les mères savent toujours, le lien qui m’unissait à Shiv’Kamu. J’avais son accord tacite et même sa bénédiction, elle devinait avec raison mon cœur suffisamment grand pour accueillir deux mamans. J’ai perdu les deux femmes de ma vie la même année, décédées l’une après l’autre, comme pour m’enseigner l’équanimité et éviter que mon amour pour l’une ne se reporte sur la survivante.
      La sœur de Sri Ram faisait partie du Gouvernement indien, celui de Nehru, et elle dirigeait également une école primaire. Lorsque l’Inde offrit l’exil au peuple du Tibet, en 1959, elle m’a conviée à une cérémonie pour l’accueil de deux cent enfants tibétains dans son école. Ce fut mon premier contact avec ce peuple souriant et ma première rencontre avec un Géshé, bien avant que je ne me familiarise avec le Bouddhisme. J’en garde un souvenir ému, tant ces enfants respiraient le bonheur et la joie de vivre malgré leur contexte difficile, et l’arrachement à leur terre. La vie est pleine de surprises : c’est ce même Geshé qui me donnera refuge quelques années plus tard, à l’Institut Vajra Yogini, centre d’études bouddhistes dans la campagne du Tarn, lors de retrouvailles aussi improbables qu’heureuses de l’Inde vers la France.

L’infinie bonté de Sa Sainteté

      C’est aussi en Inde que j’ai rencontré Sa Sainteté le Dalaï Lama. La place qu’il occupe dans ma vie depuis est incommensurable, tout comme l’affection qui me lie à sa sœur Jetsum Péma; mais je ne développerai que peu ce lien qui relève de l’intimité et du sacré. Je me contenterai de vous partager quelques mots, avec le souhait d’illustrer concrètement l’infinie bonté doublée de l’incroyable simplicité de Sa Sainteté.
      Je n’étais encore qu’une laïque mais notre première audience fut riche en émotions et donna le ton de notre relation, naturelle et authentique, avec bien sûr un profond respect. Cet être solaire, exceptionnel, dégage en même temps une simplicité telle que je me suis sentie tout de suite à l’aise à ses côtés. Lors de notre seconde rencontre, je lui ai offert un morceau de pierre issue de la tombe de Jésus Christ, protégé dans une kata. Une haute autorité catholique avec qui j’avais longuement discuté, m’avait fait cadeau de ces deux petites pierres sacrées, lors d’un voyage à Jérusalem. Cela me semblait être une offrande à la hauteur de Sa Sainteté, puisque le Christ et lui sont, à mes yeux, investis d’une même mission : aimer et guider l’humanité vers la lumière. J’ai conservé et je garde toujours précieusement le second morceau de pierre, qui me relie ainsi à mon Maître. Sa Sainteté m’a fait l’honneur de procéder à mon ordination en Inde, à Bodhgaya, en même temps d’ailleurs que la Vénérable Chantal Dekyi. Par la suite, j’ai eu la chance et le privilège de m’entretenir avec lui à diverses reprises. Lors de l’une de ces audiences privées, je souhaitais lui montrer la photographie de deux enfants tibétains dont je m’occupais. Afin de mieux fouiller dans mon sac, comme je manquais de visibilité, je saisis la paire de lunettes posée là, sur la table en face de moi, lorsque Sa Sainteté s’exclama : « no, no, it’s mine » ! Par mégarde, j’avais pris ses lunettes ! Vous imaginez mon embarras ! Rayonnant de la bonté qui le caractérise, il ne m’en a évidemment pas tenu rigueur, mais je me suis sentie extrêmement gênée sur le moment.  
       Une autre fois, je me suis rendue à Dignes où il devait prononcer un discours pour l’inauguration du Centre Alexandra David Néel et y prodiguer des enseignements. Nous étions logés dans le même hôtel, Sa Sainteté, son équipe proche (notamment son intendant et son premier secrétaire) et moi-même. La veille, il m’avait été confié le soin de préparer la chambre de Sa Sainteté avant son arrivée: volutes d’encens, récitations de prières et de mantras, et disposition harmonieuse de fleurs parfumées. Les enseignements commençaient chaque jour à dix heures, et, tôt le matin du second jour, j’ai décidé d’aller acheter des fleurs fraîches pour remplacer celles de la veille. Comme je disposais de peu de temps avant les enseignements, immanquables évidemment, je suis sortie précipitamment de ma chambre ,claquant la porte sans allumer la minuterie de la lumière, et j’ai foncé dans l’ombre du couloir jusqu’à l’escalier. Au même moment, Sa Sainteté sortait lui aussi, à vive allure, car une équipe de télévision l’attendait déjà dans le hall de l’hôtel. Et ce qui devait arriver arriva : nous nous sommes percutés, assez violemment ! J’étais tellement ahurie et sous le choc que je suis restée silencieuse, lui riant aux éclats de me voir ainsi surprise ; et je n’ai rien trouvé de mieux à dire que «Good morning, Your Holiness» avant de poursuivre mon chemin, en vitesse et pour ainsi dire, l’air de rien.

La vie de famille

      Avant de choisir la vie monastique, je me suis essayée à la vie de famille. Je me suis mariée deux fois, et de ma première union est né un fils unique, Jacques. Lorsque Jacques a eu à peine neuf ans, j’ai dû confier sa garde à son père, car je ne parvenais pas à concilier mon travail de visiteuse médicale, sans cesse sur les routes, et son éducation. Sur le moment, cela me semblait la meilleure décision et il fallait bien que je gagne ma vie, pour moi comme pour lui, mais neuf ans, c’est trop tôt pour être séparé de sa mère, et la connexion entre nous n’a jamais pu être totalement rétablie. C’est un des grands regrets de ma vie, qui m’attriste encore aujourd’hui.
      A l’époque où Jacques fêtait ses quinze ans, je me suis remariée, devenant officiellement Mme Renée Berger Perrin. J’avais acheté un petit appartement à Grenoble, et engagé une entreprise de travaux pour m’aider à le restaurer et... c’est finalement l’entrepreneur que j’ai épousé ! Je ressentais une tendre affection pour ce second mari, une belle personne mais qui était solidement ancré dans les plaisirs mondains. Nous recevions ses collègues chaque fins de semaines, lors de soirées largement arrosées. Cela me semble si loin quand j’y repense, presque une autre vie!  
      A présent, bien sûr, le regard que je porte sur le monde est celui d’une nonne bouddhiste, mais je me garderai bien de dénigrer les relations de couples, car elles fondent aussi une excellente pratique spirituelle. Bien sûr, que nous pouvons être en couple et atteindre l’éveil, nul n’est besoin d’y renoncer. Quelle meilleure pratique et entraînement au non-attachement que la vie à deux ? Au contact de l’autre, nous apprenons à développer l’Amour, c’est à dire à cultiver la patience, le pardon, la gentillesse, la compassion, et beaucoup d’autres qualités. Les enfants, également, participent à ce cheminement. D’abord parce qu’ils scellent l’amour du couple. Le fait de donner la vie permet aussi de rendre un être heureux, en lui offrant la chance de se réincarner dans une famille bouddhiste où il pourra progresser sur le chemin de l’éveil. Dans ce sens, c’est un cadeau merveilleux, que la maternité. Le fait d’avoir connu la vie de famille est un atout : cela me rend légitime et, je l’espère, pertinente dans les conseils que je peux dorénavant partager avec ceux qui traversent des difficultés.

Mon fils

      Celui qui m’introduisit au Bouddhisme, c’est mon fils, Jacques Haesert. Docteur en médecine tibétaine, il s’engagea sur la voix du milieu bien avant moi. Un jour, il me prit par le bras et me conduisit à l’Institut Vajra Yogini, où je rencontrais le Dharma. Je lui en suis infiniment reconnaissante, c’est le plus beau cadeau qu’un fils puisse offrir à une mère : lui entrouvrir un chemin spirituel. Ah, mon Jacques...
      Certes, notre lien familial m’enlève toute objectivité, mais tous ceux qui l’ont approché pourront le confirmer : c’était un être véritablement exceptionnel. Quelqu’un de bien, de bon, de sage. Quand il parlait d’amour, il respirait la sincérité. Loin des grandes théories, la souffrance, lui, il la côtoyait au quotidien, et il se sentait le devoir de guérir et de soulager le plus possible d’êtres sensibles. Telle une obsession. Il travaillait sans relâche à cette mission, trop, peut-être ? Des consultations, des enseignements, des conférences... Mais comment le lui reprocher ? Sa disparition, inattendue, reste le grand drame de ma vie. La veille de sa mort, il a donné une énième conférence sur la Médecine Tibétaine à l’Institut, qui devait se poursuivre le lendemain. Quand il ne vint pas au rendez-vous à neuf heures le matin, ses étudiants, inquiets de ce retard inhabituel, se rendirent à son domicile et le trouvèrent étendu sur son lit, les lunettes encore sur le nez et à la main, un cahier. Il est parti ainsi, à l’œuvre pour les autres. Ce fut pour moi un effondrement. La mort de son enfant fait naître au cœur une intense douleur. Il a bien fallu continuer, mais ce fut une épreuve terrible dans ma vie de femme, et de mère.

L’Institut Vajra Yogini

      Ah, l’Institut ! Cet endroit a tenu une place de premier ordre dans ma vie, puisque j’y ai pris refuge. Finalement, j’y ai assez peu vécu, un an et demi seulement, mais je m’y suis rendue régulièrement depuis plus de vingt-cinq ans, cela créé des liens. Dans mon cœur le «château» comme j’aime à l’appeler, sera toujours ma maison. L’enchaînement des évènements et la vie ont décidé que je n’y résiderai plus dorénavant, mais ce lieu restera pour toujours mon chez moi. C’est une grande joie chaque fois que je m’y rends, même si l’énergie qui y règne est parfois déroutante! Chacun s’affaire avec hâte et enthousiasme pour que puissent se dispenser les enseignements. François et Violette, qui dirigent l’Institut bénévolement depuis plus de dix ans offrent un cadeau précieux à toute la communauté et aux visiteurs, ils font preuve d’une solide dévotion. Violette est incroyable c’est bien simple elle à l’ œil partout, elle voit tout! Et sa capacité de travail semble inépuisable. La gentillesse et l’affection de François à mon égard me touchent énormément, nous avons une relation très fraternelle.  Ils personnifient le vrai don de soi, au service des autres. Je les aime et je salue leur courage, ils illustrent pour moi le travail des Bodhisattvas. Ils méritent une communauté soudée autour d’eux, pour les aider et peut-être mieux répartir les responsabilités.  
      L’énergie est bien différente au Monastère tout proche de Nalanda, mon autre refuge ici-bas. C’est là-bas qu’on me fermera les yeux et que je méditerai paisiblement, vers la suite du voyage.

La mort

     La mort est partie intégrante de la vie, n’est-ce pas ? Naturellement, elle s’invita à plusieurs reprises dans la mienne. Nous avons déjà évoqué le départ de mes deux mères et de mon fils ; la fin de vie de mon père est également un évènement marquant de mon histoire. Mon père m’a donné une éducation extrêmement stricte et sévère, je n’avais par exemple, jamais l’occasion de recevoir des amies, d’ailleurs, je n’avais pas d’amies. Seules les études tenaient grâce à ses yeux et le divertissement n’a guère occupé de place dans mon enfance solitaire et studieuse. En guise de distraction, une fois par semaine, ma mère m’accompagnait au cinéma de Strasbourg si j’avais suffisamment bien travaillé et si je l’avais mérité. C’est tout. Pourtant, il n’était pas complètement austère, ce père, bien que son métier d’officier de l’armée pourrait laisser penser le contraire. Il savait aussi sourire, et s’autorisait quelques excentricités, il jouait même de la cithare avec ses amis musiciens. Mais avec moi, il fut sans douceur et sans pitié.  
      Alors que je vivais ma vie loin d’eux, du côté de Grenoble, je découvris un soir de retour du travail une enveloppe dans ma boîte aux lettres. Une lettre de mon père, la toute première, peut-être. Quelques mots simples qui changèrent le cours de notre relation, puisque dans cette lettre il me demandait pardon. Sur le morceau de papier, recouvert de l’encre fragile de sa santé déclinante, coulait aussi la trace des larmes séchées qui ponctuèrent ses pensées. Ses regrets, certes tardifs, débordaient de sincérité, de  la prise de conscience de ce que j’avais enduré. Poussée par l’urgence des retrouvailles, je sautais dans le premier train de nuit en direction de Strasbourg pour rejoindre la maison familiale au plus vite. Quand je découvris son état, je réalisais à quel point les heures étaient comptées. A l’hôpital, j’ai pu accompagner ses derniers instants, il mourut tout près de moi, bercé par ces paroles murmurées à son oreille : « mon petit papa, je t’aime très fort ». J’aime à penser qu’il est parti soulagé, en paix. Quelles que soient les difficultés, les souffrances que nous avons pu éprouver, les relations conflictuelles, le pardon du fond du cœur est en mesure de tout réparer. Qu’importe le passé, c’est le présent qui compte et notre présent à nous, fleurissait d’amour et d’affection. Rien n’est plus important que de quitter cette vie en paix, c’est déterminant pour la suite des évènements. Nous sommes aussi vulnérables que des enfants au moment de la mort, alors pour faire taire la peur et les regrets, il est capital que nos yeux se ferment entourés de réconfort. Je suis heureuse et soulagée d’avoir pu le lui donner, ces derniers instants ensembles furent formidables. J’ai la profonde certitude qu’il a entendu mon pardon et qu’il s’est endormi en paix, puisque deux semaines après son décès, j’ai rêvé de lui. Dans ce rêve aux contours parfaitement nets et vifs, mon père se tenait debout sur le sommet d’une colline au vert éclatant de vie. Je me dirigerais vers lui, sereine, calme, quand il m’interpella de loin :
- Alors, c’est vrai, tu m’aimes ?
- Oui, mon petit papa, je t’aime très fort, répétais-je pour la deuxième et dernière fois. Avant que mes yeux ne s’ouvrent et que la discussion entre nous, pour toujours ne s’achève.  
      En ce qui concerne à ma propre mort, je m’efforce de n’éprouver aucune crainte, aucune peur. Je m’y prépare, sereinement, par la réflexion et la méditation. Je suis à l’aise avec cette idée puisque pour moi, il y a une suite. Mon corps âgé est devenu source de bien des souffrances, j’essaye malgré tout d’en tirer le meilleur parti, jusqu’au bout, et surtout de ne pas trop m’en plaindre, de cultiver la joie et le rire, d’autant plus lorsque je reçois des visites. Lorsque j’ai trop mal à la tête, je chante, et cela va mieux ! Notamment de vieilles rengaines qui datent de l’époque de mes études de médecine, comme la Chanson du Macchabé ! Il faut aussi se divertir et savoir faire preuve de légèreté.  Parmi mes amies âgées, certaines redoutent la mort, alors que d’autres l’attendent avec impatience. Dans un cas comme dans l’autre, elles passent à côté du moment présent. Nous n’avons aucun pouvoir sur l’heure et les circonstances de la mort, alors pourquoi s’en inquiéter ? Il faut être prête, et puis profiter du temps qu’il reste pour faire du bien et progresser sur la voie, jusqu’au bout. Je ne souffre pas du moindre doute quant à mes retrouvailles avec le Dharma dans la vie prochaine : il est en moi. Cette certitude contribue à ma sérénité, à l’approche du départ. Je sais que je suivrai encore la voie des Bouddhas, et que je m’activerai de nouveau pour le bien des êtres. Apprendre encore pour mieux donner.  
      Depuis deux ans environ, je ne saurai l’expliquer mais il me semble évident que les liens que je crée, les rencontres que je partage, seront toutes renouvelées et renforcées dans la vie prochaine. D’ailleurs je compte beaucoup de jeunes personnes autour de moi, des trentenaires, et je suis certaine de vous retrouver dans quelques années et que nous contribuerons ensemble à sauver ce qui pourra l’être sur cette planète. Lors de ma prochaine incarnation, il y aura tellement à faire... Il ne s’agit pas de revenir pour s’amuser mais pour travailler et accepter de repasser par des phases de souffrance, inévitablement. Je n’éprouve aucun découragement à cette perspective, la souffrance fait partie de l’humain. Tant qu’on manque de discernement, de connaissances, tant qu’on ne comprend pas tout, il faut passer par là. Je suis prête à cela.

Never Give Up !

Que nous soyons en pleine santé ou malades, seuls ou entourés de proches, que notre porte- monnaie soit vide ou plein, nous nous plaignons tout le temps ! Cela ne vous a pas échappé n’est-ce pas ?! Nous ne sommes jamais pleinement satisfaits, l’être humain est ainsi fait... Parfois, je me demande où tout cela va nous mener, et quelle orientation va prendre le monde dans les prochaines années. Vous, les jeunes, vous aurez à faire face à des défis de taille, vous serez confrontés à de grandes difficultés. Si vous deviez ne retenir qu’un seul conseil de ma part, ce serait celui-là : surtout, ne vous découragez pas « Never give up », comme le dit si souvent Sa Sainteté le Dalaï Lama. Essayons de demeurer en paix, de pratiquer la compassion, et de nous activer dans le bon sens, sans nous plaindre exagérément ; faute de quoi nous contribuerions à créer de l’énergie négative, inutilement. Je sais, nous avons cette tendance, mais avec quelques efforts, nous pouvons la contrer. Nous avons parfois de la peine, de la tristesse, des soucis, d’accord, mais tâchons de faire preuve de modération. Le mieux pour faire face aux obstacles est encore de prier, plutôt que de geindre et se plaindre sans arrêt. Essayez, et vous verrez !
      Lorsque vous êtes confronté à des difficultés, vous pouvez aussi demander l’aide de la Sangha, des moines et des nonnes, des Géshés et des Rinpochés qui enseignent le Dharma dans le monde entier et qui entourent sa Sainteté. Vous pouvez également vous en remettre aux « êtres invisibles ». Ils sont là. Nous ne sommes pas aussi seuls que nous le croyons. Certains les appellent des « anges gardiens », d’autres encore des « extra-terrestres », qu’importe le label, ce sont ces présences favorables qui vous viennent en aide dès que possible, si l’on prend la peine de les solliciter.  
      S’il est primordial de ne pas se décourager, nous devons en parallèle, faire preuve de modestie. Ce n’est en rien contradictoire ! Parfois, lorsque l’on vit certaines expériences, certains progrès sur le chemin spirituel, nous pouvons avoir tendance à nous enthousiasmer démesurément, voir même à manquer de modestie. C’est une erreur, il nous reste tellement à apprendre. Le calme est alors préférable à l’euphorie. Essayons de reconnaître notre ignorance avec tranquillité et humilité, mais sans exagérer sinon c’est encore une forme de prétention. L’expérience m’a prouvé que les fruits de nos efforts, de nos pratiques, peuvent se récolter bien longtemps après. Parfois des expériences surviennent dix ans plus tard, analogues à celles que nous vivons aujourd’hui, et les épreuves actuelles nous permettront d’y faire face plus facilement. Nous pouvons savourer la sérénité d’un instant de vérité, grâce à un enseignement reçu dix ans plus tôt et qui refait surface, au moment opportun, pour nous rendre service. Courage, modestie et patience, voilà un bon trio pour avancer sur la pratique spirituelle. Tout est vibration Je suis très sensible à la question des champs vibratoires émis par les êtres, et c’est devenu un de mes domaines de prédilection. Nous devrions considérer la qualité des vibrations avec la plus grande attention. Prenons, par exemple, l’enseignement du Dharma: les paroles peuvent être simples mais si elles sont prononcées avec le ton adéquat et une qualité vibratoire harmonieuse, elles permettront une transmission optimale du message. Si nous prenons conscience de la qualité vibratoire avec laquelle nous pensons, nous ressentons, nous parlons, alors ce travail d’enseignement, comme toute autre activité, peut avoir un impact extraordinaire.

Tout est vibration.

       Ce que vous émettez se répercute en premier lieu sur vous, mais aussi sur votre entourage, sur votre maison, puis jusqu’au ciel, sur les étoiles, mais aussi l’eau, l’air... La vibration se repend partout, d’où l’importance de ce que nous diffusons. Si nous avons une pensée, une parole négative, elle impacte tout, et pas seulement celle ou celui qui en est le destinataire. Comprenez-vous ? L’idéal, ce serait une harmonie parfaite entre ce qui est dit et la vibration qui est émise. Une cohérence, une congruence, qui permettrait que le message, l’intention, soit parfaitement reçus par celui à qui nous nous adressons. Au contraire, si vous dîtes « blanc » tout en pensant « noir », du fait de ce décalage, la vibration émise et reçue sera en lien avec le « noir », et ce en dépit des mots prononcés. La vibration ne s’invente pas, pas plus qu’elle ne se travaille ou ne se contrôle. Elle n’est que le reflet de l’état intérieur de l’être qui s’exprime et qui agit. Elle provient du cœur, de ce que nous avons appris et pratiqué, de notre niveau de calme et d’introspection acquis au fil des années, et aussi de notre bonté. Prendre conscience de l’impact de ses propres vibrations est déjà une première étape importante. Puis, nous devons aussi prendre soin de ne pas juger l’état vibratoire de ce que nous ressentons, ni de ce qui nous entoure. C’est extrêmement important. Le jugement conduit à un état vibratoire qui n’est pas bon. En reconnaissant seulement la mauvaise humeur d’une personne, en la constatant simplement, nous l’accusons encore davantage et nous participons à la diffuser plus encore. Nous devons nous entraîner à faire preuve de neutralité, allant jusqu’à nous abstenir de toute constatation. Vous vous demandez peut-être comment prendre soin et considérer les êtres avec une telle neutralité, comment nous adapter à leur état d’être si nous ne l’évaluons pas ? La réponse est simple : grâce à l’amour. L’amour est suffisant, si nous émettons de l’amour, nul n’est besoin de constater l’humeur de l’autre, nul n’est besoin d’argumenter, nous nous contentons de demeurer dans l’amour sans prendre position.
      «Je pense donc je suis», oui, mais dans le cas des vibrations, «elles sont», tout simplement. Spontanément. Il ne reste plus qu’à s’entraîner, à pratiquer, à s’apaiser pour petit à petit parvenir à changer sa propre longueur d’onde, qui deviendra alors spontanément harmonieuse et positive. Armez- vous de courage et cela deviendra possible !

Mes prières

      L’écriture tient une place de choix dans ma vie. Après une méditation, qui parfois voit éclore quelques pensées dignes d’intérêt, je note, pour ne pas oublier, ces instants de lumière et de lucidité. Il en résulte chez moi une multitude de morceaux de papiers ! La vie prend si vite le dessus, que nous avons tendance à oublier l’essentiel. Ces petites notes disséminées sont autant d’alarmes pour m’en rappeler. J’encourage chaque personne à garder une trace quotidienne de ses réflexions et états d’esprits. Cela peut s’avérer utile pour traverser les périodes de creux et de manque de créativité. J’écris aussi des poèmes, des prières. J’accorde une grande importance aux mots mais aussi à la manière de les articuler, de les prononcer, à l’intonation appropriée pour transmettre des messages et être ainsi bénéfique à ceux qui les reçoivent. C’est pourquoi je récite mes poèmes avec tout mon cœur, mon esprit, et toute ma concentration, tâchant d’y insuffler une intention juste ; comme dans cette Prière de la Mère , le tout premier poème que j’ai écrit peu après ma rencontre avec le Dharma :

Oṃ tāre tuttāre ture svāhā
Lorsque j’entends sur la Terre
Les cris de misère et de souffrances
De mes frères
Vivants leur humaine expérience,
Je me sens prise d’une immense compassion.
Je réfléchis, je médite, cherchant la solution.
Comment apaiser la douleur de l’humanité,
Et faire briller la lumière de la vérité ?
Ainsi, ma conscience me dicte et m’ordonne
Le chemin du service, de la main qui donne.
Trouvant ainsi ma raison de vivre ici-bas,
pour la paix et le bonheur de tous les êtres.
Om maṇi padme hūm

      Je l’affectionne pour sa simplicité, cette poésie. Il n’est pas toujours besoin de compliquer intellectuellement ce qui relève des sentiments. Pour permettre l’émergence de la compassion et de l’amour, il suffit de laisser s’ouvrir son cœur, tout simplement. Il faut être très vigilant, pour ne pas générer de souffrance, même en pensées car les pensées finissent tôt ou tard par se matérialiser. J’avais environ trente-cinq ans lorsque j’ai écrit cette prière. J’ai fait du chemin, depuis, mais elle reste toujours d’actualité, cette nécessité de compassion et d’amour entre les êtres. Nous devrions nous le rappeler chaque matin, et consacrer notre journée à apaiser les souffrances et à assumer, comme relevant de notre propre responsabilité, le bonheur de toutes les personnes croisées.  Le Bouddhisme est d’ailleurs un enseignement pratique, loin des bondieuseries : il propose des méthodes qui guident la réflexion. En suivant les enseignements et en méditant, nous transformons concrètement notre vie, nos réactions, et notre entourage s’en trouve également impacté positivement. Le chemin bouddhiste conduit à un changement de comportement.
      Essayons d’aimer tous les êtres, comme ils sont, sans les juger. Comment pourrions-nous les juger ? Si seulement nous pouvions réaliser que nous sommes tous investis de la même mission : éviter de générer de la souffrance... et cela englobe aussi la nature et les animaux. Nous oublions souvent que la terre et les animaux eux-aussi, souffrent. Je prends soin, par exemple, de nourrir les oiseaux. L’été, quand je me repose sur le petit balcon, les oiseaux approchent et s’amusent entre mes jambes, ils piaillent, ils picotent, ils picorent mes mollets, ils réclament des graines, se posent sur mes épaules : ils sentent que je les aime et qu’ils n’encourent aucun danger. Je leur offre à boire, lorsqu’il fait très chaud, des gouttelettes d’eau qui coulent directement de mes doigts jusqu’à leurs petits becs. Eux-aussi sont mes enfants, et mes mamans. Je souhaite de tout mon cœur de parvenir un jour à aimer les serpents... mais ce n’est pas encore le cas ! L’équanimité parfaite et constante est un effort de longue haleine.

      En attendant, je prie chaque jour pour que l’humanité prenne conscience de son interdépendance. Il est nécessaire de se consacrer à sa vie personnelle, bien sûr, mais pourquoi ne pas donner aussi un petit peu de temps, d’énergie, d’amour, pour la misère du monde et de la planète, dont nous faisons partie? Alors, seulement, nous pourrons quitter ce corps avec une certaine satisfaction, celle d’avoir fait de notre mieux. Apprendre, comprendre, méditer, appliquer, en se basant sur les enseignements du Dharma, et en visant la libération de tous les êtres, voilà le sens que nous pouvons donner à notre précieuse existence humaine, pour recevoir en retour, le moment venu, une certaine sérénité : celle de pouvoir partir en paix.

Océane pour Mataji.

Mataji s'en est allée pour d'autres horizons début février 2018 en sa 96è année.

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