Giambattista Vico (1668 – 1744)
DE L’ANTIQUE
SAGESSE DE L’ITALIE RETROUVÉE DANS LES ORIGINES DE LA LANGUE LATINE.
CHAPITRE III Des causes, ("caussa- negotium-effectus")
Des causes.
Les Latins confondent caussa
avec negotium, cause avec opération, et ce qui naît de la cause, ils
l’appellent effet, effectus. Ces locutions semblent s’accorder avec ce
que nous avons établi sur le fait et le vrai. Car si le vrai, c’est ce qui est
fait, prouver par les causes, c’est faire, et ainsi caussa et negotium,
cause et opération, sont identiques, le fait et le vrai c’est même chose,
savoir un effet. Les causes dont on s’occupe le plus en physique sont la
matière et la forme ; dans la morale c’est la cause finale, dans la
métaphysique la cause efficiente. Il est donc vraisemblable que les anciens
philosophes de l’Italie pensèrent que c’est prouver par les causes que
d’introduire l’ordre dans la matière, dans les éléments indigestes d’une chose,
et de les faire passer de la dispersion à l’unité ; ordre et union d’où
résulte une forme certaine qui impose à la matière une nature spéciale et
propre. Si cela est vrai, l’arithmétique et la géométrie, que l’on considère
comme ne recourant jamais aux causes dans leurs démonstrations, prouvent
véritablement par les causes. Et pourquoi ces sciences démontrent-elles par les
causes ? C’est qu’ici l’esprit humain contient les éléments des vérités,
qu’il peut ordonner et harmoniser, et de l’arrangement desquels sort le vrai
qu’il démontre ; en sorte que la démonstration est une opération
créatrice, et que le vrai est identique avec le fait. Et si nous ne pouvons
prouver la physique par les causes, c’est que les éléments des choses de la
nature sont hors de nous. Car, tout finis qu’ils sont, il n’en faut pas moins
un pouvoir infini pour les disposer, les ordonner et en faire sortir leur
effet. Si nous considérons la cause première, il ne faut pas moins de puissance
pour produire une fourmi que pour créer tout cet univers, parce que pour la
création de la fourmi comme pour la formation du monde il faut également du
mouvement ; le mouvement tire le monde du néant et la fourmi de la
matière.