Giambattista Vico (1668 – 1744)
DE L’ANTIQUE
SAGESSE DE L’ITALIE
RETROUVÉE DANS LES ORIGINES DE LA LANGUE LATINE.
RETROUVÉE DANS LES ORIGINES DE LA LANGUE LATINE.
CHAPITRE VIII
De l’ouvrier suprême.
§ III. — Fortuna.
Les Latins disaient de la Fortune
qu’elle était favorable ou contraire ; et cependant fortuna vient
de l’ancien mot fortus, qui signifiait bon. Aussi, par la suite, pour
distinguer l’une de l’autre, ils disaient fors fortuna. Or, la fortune
est un Dieu qui opère par des causes déterminées, indépendamment de notre
attente. L’ancienne philosophie italique aurait-elle donc pensé que tout ce que
Dieu fait est bon, et que tout vrai, ou tout fait, est bon, et que nous, par
notre injustice qui nous fait tourner les yeux sur nous-mêmes au lieu de les
porter sur l’ensemble de l’univers, nous considérons comme un mal ce qui nous
est contraire, mais bon dans son rapport au monde entier ? Le monde sera
donc une république naturelle, où Dieu, comme un monarque, a en vue le bien
commun, où chacun, comme particulier, pense à son bien propre, et où le mal
privé sera le bien public ; et de même que dans une république fondée par
les hommes le salut du peuple est la loi suprême, de même dans cet univers
établi par Dieu, la reine de toutes choses sera la fortune, ou la volonté de
Dieu, en ce sens que, toujours attentive au salut de l’ensemble, elle domine le
bien privé, les natures particulières ; et de même que le salut des
particuliers doit céder au salut public, ainsi le bien de chacun sera
subordonné au bien de l’univers ; et de cette manière les choses qui
semblent adverses dans la nature seront encore des biens.