CHAPITRE
V
Animus et Anima.
Animus et Anima.
§ II. — Du siège de l’âme.
L’ancienne philosophie italique
plaça dans le cœur le siège et la demeure de l’âme. Car on disait vulgairement
chez les Latins que la prudence est placée dans le cœur, que c’est dans le cœur
qu’habitent les résolutions et les soins, que c’est du cœur que sort la pointe
pénétrante de l’invention (acumen), e pectore acetum, pour dire
comme Plaute. Remarquons aussi ces locutions, cor hominis, excors pour
stupide, vecors pour l’homme en démence, socors pour esprit lent
et paresseux, et au contraire, cordatus pour sage ; c’est de là que
P. Scipion Nasica reçut le nom de Corculum, parce que l’oracle le
déclara le plus sage des Romains. Serait-ce que l’école italique aurait admis
avec toute l’antiquité que les nerfs prennent naissance dans le cœur ? et
de plus, qu’il nous semble que nous pensons dans la tête, parce que dans la
tête sont les organes de deux sens, dont l’un, je veux dire l’ouïe, est le plus
disciplinable de tous, et l’autre est le plus actif. Mais l’opinion qui fait
naître les nerfs dans le cœur a été trouvée fausse par l’anatomie
moderne ; on a vu qu’ils se ramifient à partir du cerveau pour se
distribuer dans tout le corps. Aussi les cartésiens placent l’âme comme en
sentinelle dans la glande pinéale ; c’est là, suivant eux, que tous les
mouvements du corps lui sont transmis par les nerfs, et que par ces mouvements
elle aperçoit les objets. Cependant on a vu des hommes, après une extraction du
cerveau, vivre, se mouvoir et bien user de leur raison. Il n’est pas non plus
vraisemblable que l’âme ait pour siège celle de toutes les parties du corps où
il y a le plus de mucus et le moins de sang, et qui est par conséquent
paresseuse et engourdie. La mécanique nous enseigne que dans une horloge les
roues que le moteur touche de plus près, sont les plus délicates et les plus
mobiles ; dans les plantes le siège de la vie est dans la semence, et
c’est de là qu’elle se répand par le tronc dans les branches, et par la souche
dans les racines. Serait-ce que les philosophes de l’Italie auraient observé
que le cœur est dans la génération des animaux la première partie qui
apparaisse et qu’on voit battre, et dans la mort la dernière qu’abandonnent la
chaleur et le mouvement ? Est-ce parce que c’est dans le cœur qu’est la
plus ardente flamme de la vie ? est-ce parce que dans l’évanouissement,
défaillance du cœur que nous appelons en italien svenimento di cuore,
ils voyaient se suspendre non seulement le mouvement des nerfs, mais encore
celui du sang, et disaient du malade animo deficere et animo
male habere ? et qu’ils plaçaient dans le cœur le principe de l’anima
ou de la vie, et aussi celui de l’animus ou de la raison ? est-ce
parce que le sage est celui qui pense le vrai et veut la justice, qu’ils
placèrent dans les affections l’animus, et dans l’animus le mens,
l’intelligence, mens animi ? Certainement les deux foyers de toutes
les émotions violentes de l’âme, ou des affections, sont l’appétit
concupiscible et l’appétit irascible, et le sang paraît être le véhicule du
premier, et la bile celui du second ; l’un et l’autre de ces liquides ont
leur siège principal dans les viscères. Ils pensaient donc que le mens
dépend de l’animus, parce que chacun pense selon qu’il est bien ou mal animatus ;
car les sentiments diffèrent sur des sujets identiques selon la diversité des
dispositions. Aussi se dépouiller de ses passions, c’est une préparation plus
sûre encore pour la méditation du vrai que de se dépouiller de ses
préjugés ; car vous ne détruirez jamais les préjugés tant que la passion
restera ; mais si la passion est éteinte, le masque que nous avions mis
sur les objets tombe de lui-même, et les choses restent ce qu’elles sont.