Fondamentale question que celle de la conscience. Mais qu'est-ce que la conscience? Voici un éclairage de Vladimir Jankelevitch dans on ouvrage La Mauvaise Conscience.
La conscience est-elle mobile ou immobile? Et quel est son mobile? Toutes questions émergent de notre conscience, et le processus de vie de la conscience est ici abordée dans toute sa subtilité.
Sylvère
«
La conscience n'est autre chose que l'esprit. L'acte par lequel l'esprit se
dédouble et s'éloigne à la fois de lui-même et des choses est un acte si
important qu'il a fini par donner son nom à la vie psychique tout entière ; ou
plutôt « la prise de conscience » ne désigne pas un acte distinct, mais une
fonction où l'âme totale figure à quelque degré et qui est propre à l'attitude
philosophique. Dans sa mobilité infinie la conscience peut se prendre elle-même
pour objet : entre le spectateur et le spectacle un va-et-vient s'établit alors,
une transfusion réciproque de substance : la conscience-de-soi, en s'aiguisant,
recrée et transforme son objet, à savoir un phénomène de l'esprit ; mais
l'esprit à son tour déteint sur la conscience, puisqu'en somme c'est l'esprit qui
prend conscience. Il y a en nous comme un principe d'agilité et d'universelle
inquiétude qui permet à notre esprit de ne jamais coïncider avec soi, de se
réfléchir sur lui-même indéfiniment ; de toute chose nous pouvons faire notre objet
et il n'est pas d'objet auquel notre pensée ne puisse devenir transcendante...
La conscience veut n'être dupe de rien, pas même de soi. C'est une infatigable
ironie... La conscience se divise extrêmement, se fait toute ténue, aiguë et
abstraite, afin de n'être pas surprise par le donné. Elle est clairvoyance et
liberté.
Dès
le premier tressaillement de la réflexion, l'esprit d'inquiétude nous tourmente
; car la réflexion n'est pas là pour confirmer les évidences, mais au contraire
pour les contester...
L'existence,
après tout — cette existence qui nous est donnée comme le plus naturel, le plus
évident et le plus général de tous les faits — l'existence va-t-elle de soi ?
Bien entendu, rien n'est absurde et même insensé comme une pareille question,
puisque notre propre pensée, qui la pose, témoigne par le fait qu'elle est
résolue avant d'être posée. Mais justement, il ne sera pas dit que notre pensée
reste prisonnière de quelque chose, fût-ce de sa propre existence ; et l'on
sait que la dignité du « roseau pensant » consiste, non pas à surmonter la
limite, mais à en prendre conscience : pour se libérer il suffit, bien souvent,
de savoir qu'on n'est pas libre. Philosopher revient donc, en somme, à ceci :
se comporter à l'égard de l'univers et de la vie comme si rien n'allait de soi
; contingence ou nécessité, il y a dans le réel quelque chose qui demande à
être justifié. »
VLADIMIR
JANKELEVITCH, La Mauvaise Conscience.
(Paris.
Presses Universitaires de France, 1951, pp. 1-3.)