Oui, de Socrate au Christ s'il en est ainsi, et non ainsi soit-il. Nous pouvons en effet établir autant de supputations que nous avons le loisir de le faire, mais plus fondamentalement ce texte de Clément d'Alexandrie extrait
des Stromates sous-entend une idée majeure, celle de l'évolution.
L'évolution de la pensée, de la conscience, de la liberté humaine. Même
si elle prend des formes qui nous paraissent improbables, et que son cheminement passe par des circonvolutions parfois régressives et involutives, cette force qu'est l'évolution suis son cours, et telle une spirale, retrouve parfois davantage de force en reculant quelque peu. Une conscience suprême, mouvant toute chose telle que Héraclite l'avait découvert œuvre en tout et partout à toutes les échelles, et nous ne pouvons saisir cette réalité ni dans son ensemble, ni dans son particularisme. A moins de s'éveiller à cette dimension de la Réalité. L'expression de cette conscience suprême et universelle se définie par l'idée de providence. En portant attentivement conscience sur cette idée nous pouvons en découvrir sa réalité dans l'universel et le particulier. Et plutôt que de regarder le courant passer, nous pouvons choisir de nous jeter dedans pour ne pas se laisser abuser par le pourquoi du comment. La providence, que nous ne pouvons maitriser, nous porteras si nous y consentons.
Sylvère
« Avant la venue du
Seigneur, la philosophie était indispensable aux Grecs pour les conduire à la justice ; maintenant
elle devient utile pour les conduire à la vénération de Dieu. Elle sert de
formation préparatoire aux esprits qui veulent gagner leur foi
par la démonstration. « Ton pied ne trébuchera pas », comme dit l'Écriture, si
tu rapportes à la Providence tout ce qui est bon, que ce soit grec ou
chrétien. Dieu est la cause de
toutes les bonnes choses, des unes immédiatement
et pour elles-mêmes, comme de l'Ancien et du Nouveau Testament, des autres par corollaire, comme de la philosophie. Peut-être même la philosophie
a-t-elle été donnée elle aussi comme un bien direct aux Grecs, avant que le
Seigneur eût élargi son appel jusqu'à eux : car elle faisait leur éducation, tout comme la Loi celle
des Juifs, pour aller au Christ. La philosophie est un travail
préparatoire; elle ouvre la route à celui que le Christ rend ensuite parfait.
... Cependant nous
n'accepterons pas n'importe quelle philosophie grecque, mais seulement celle dont Socrate, dans Platon, parle en
ces termes : « Il y a, selon la formule courante des
initiations, beaucoup de porteurs de thyrse, mais peu de Bacchants. »
Il veut faire entendre par là : « Beaucoup d'appelés et peu
d'élus », car il ajoute expressément : « Les Bacchants, à mon
sens, ne sont autres que les hommes qui ont correctement pratiqué la philosophie. Et pour en devenir un moi-même, je n'ai rien négligé
selon mes modestes forces durant toute ma
vie, je m'y suis évertué par tous les moyens.
Mes efforts ont-ils été bien conduits ? Ai-je obtenu un résultat ? je le saurai au clair dans quelques
moments, quand je serai là-haut, si
Dieu veut. » Ne vous semble-t-elle pas
tirée des Écritures juives, cette espérance en la justice après la mort que Socrate manifeste ici ? De même
dans le Démodocos — s'il est de
Platon — Socrate dit : « Méfie-toi !
Être philosophe, ce n'est pas passer sa vie penché sur les arts pratiques, ni amasser de l'érudition. Une
telle vie mérite un tout autre nom,
et, à mon avis, un nom insultant. » Il
savait sans doute ce que dit Héraclite : que « l'érudition n'apprend pas à être intelligent ». Dans le livre V
de la République, il dit : « Tous ces gens-là, et autres amateurs d'études de ce genre, et ceux qui s'adonnent à ces
petites bricoles, les dirons-nous
philosophes ? — Nullement, dis-je :
des caricatures de philosophes. — Et quels sont les vrais selon toi ? — Ceux, dis-je, qui ont la
passion de contempler la vérité. »
Car la philosophie n'est pas dans la géométrie, qui comporte des postulats et des hypothèses, ni dans la
musique, qui ne procède que par approximation, ni dans l'astronomie, qui est bourrée de raisonnements appuyés sur des éléments matériels, fluents et de pure
apparence — elle est la science du
Bien en lui-même et de la vérité en elle-même ; et les sciences susdites sont différentes du Bien, et seulement des voies d'accès au Bien. Aussi Socrate
n'accorde-t-il pas, non plus que nous,
que le cycle normal des études suffise pour atteindre le Bien : il apporte seulement sa contribution à
l'éveil et à la gymnastique de l'âme aspirant aux biens spirituels.
Donc,
si l'on nous dit : c'est « par accident » que les Grecs ont professé quelques
théories conformes à la véritable philosophie, cet accident fait partie du plan divin — on
ne va pas, je pense, diviniser le
hasard pour nous faire pièce ; si c'est « par coïncidence », la coïncidence est
d'ordre providentiel. Nous dira-t-on :
« Mais les Grecs n'ont eu qu'une raison
naturelle » ? La nature est l'œuvre d'un seul Dieu, que je sache ; aussi avons-nous dit que la justice
est naturelle. Dira-t-on : « Ils n'ont
eu que le sens commun » ? Examinons
alors quel en est le père, et d'où vient cette justice qui préside à sa répartition. Va-t-on dire que
c'était un don de prédiction ou de
télépathie dans le présent ? Ce sont là des formes de prophétie
(authentique) !
D'autres
veulent que les philosophes aient dit certaines choses en tant que
reflets de vérité. Mais le divin apôtre l'écrit de nous-mêmes ! « Nous ne voyons, pour le moment, que comme dans un miroir », nous nous
connaissons nous-mêmes
par le rayon qui vient se refléter contre lui, et nous contemplons, autant qu'il nous est possible, la cause créatrice
d'après l'élément divin qui est en nous-mêmes. »
CLÉMENT
D'ALEXANDRIE, Stromates, I, 28, 1-3, et 92.,
3-94., 4‑
(Trad.
Marcel Castes, Éd. du Cerf.)