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13/12/2020

A quel moment il faut commencer à philosopher

 

Ménédème le cynique traçant dans le sable une figure humaine. On voit dans le fond à gauche deux hommes qui l'observent. on lit au milieu d'en haut: MENEDEMO PHILOSOPHO [Dessins anonymes d'emblèmes et de philosophes d'après des gravures de Vico Enéa ou de Jacques Androuet du Cerceau.]Menedemo (Μενέδημος). Ménédème d'Érétrie était un philosophe grec (345 av. J.-C) , originaire d'Érétrie, membre de l'école d'Élis, disciple de son fondateur Phédon d'Élis. Il s'est fondé sur les enseignements de Socrate, mais rejeta ceux de Platon dont il méprisait la philosophie. Il était le dernier des philosophes socratiques directs, n'appartenant ni aux disciples de l'Académie de Platon ni à ceux d' Aristote.

      Il y a des adversaires de la philosophie et l'on fait bien de les écouter surtout quand ils déconseillent la métaphysique aux têtes malades des Allemands, et leur préconisent en revanche de se purger grâce à la physique, comme Goethe, ou de se guérir par la musique, comme Richard Wagner. Les médecins du peuple rejettent la philosophie, et celui qui veut alors la justifier aura à montrer à quelle fin les peuples sains utilisent et ont utilisé la philosophie. S'il parvenait à le montrer, les malades eux-mêmes y gagneraient peut-être de comprendre avantageusement pourquoi la philosophie leur a précisément été nuisible. Il y a certes de bons exemples d'une santé qui s'est maintenue sans s'aider aucunement de la philosophie ou en usant d'elle de façon très modérée, en faisant d'elle presque un jeu. Les Romains ont ainsi vécu leur meilleure époque sans  philosophie. Mais où trouverait-on l'exemple d'un peuple atteint de maladie et à qui la philosophie aurait rendu sa santé perdue? S'est-elle jamais montrée secourable, salutaire, protectrice, c'était alors à l'égard des peuples sains; elle a toujours aggravé l'état des peuples malades. S'il est arrivé à un peuple de se disloquer et de laisser se relâcher les liens qui l'unissaient à ses citoyens, la philosophie n'a jamais rien fait pour rattacher plus étroitement ces citoyens au tout de la nations . Dès qu'un homme a eu l'intention de se mettre à l'écart et de se clôturer pour se suffire à lui-même, la philosophie a toujours été prête à l'isoler davantage et à le détruire par cet isolement. La philosophie est dangereuse lorsqu'elle n'est pas en pleine possession de ses droits et seule la santé d'un peuple, mais pas non plus de n'importe quel peuple, lui confère une telle légitimité. 

     Tournons-nous maintenant vers cette autorité suprême qui décide de ce qu'on peut appeler sain en parlant d'un peuple. Les Grecs, parce qu'ils sont véritablement sains, ont une fois pour toutes légitimé la philosophie elle-même du simple fait qu'ils ont philosophé, et bien plus en effet que tous les autres peuples. Ils n'ont jamais su s'arrêter à temps, car même au cours de leur vieillesse stérile ils se sont comportés en ardents thuriféraires de la philosophie bien qu'elle n'eût alors plus pour eux que le sens des pieuses subtilités et des sacro-saintes ratiocinations de la dogmatique chrétienne. En ne sachant pas s'arrêter à temps, ils ont eux-mêmes considérablement diminué le service qu'ils pouvaient rendre à la postérité barbare, car celle-ci, avec impétuosité et l'ignorance de sa jeunesse, devait inévitablement se prendre à ces pièges et à ces rêts artificieusement ourdis. 

      Les Grecs en revanche ont su commencer à temps; et cet enseignement qui détermine à quel moment il faut commencer à philosopher, ils l'ont prodigué plus clairement qu'aucun autre peuple. Ce n'est pas à vrai dire une fois qu'on est dans le malheur qu'il faut commencer, comme le pensent volontiers ceux qui font dériver la philosophie du mécontentement, mais c'est dans le bonheur, en pleine force de l'âge, fort de la bouillonnante allégresse d'une vigoureuse et victorieuse maturité virile. Le fait que ce moment-là ait été celui où les Grecs ont philosophé nous en apprend autant sur ce qu'est la philosophie et ce qu'elle doit être que sur les Grecs eux-mêmes. S'ils avaient été à cette époque ces esprits pratiques et enjoués, sereins et suffisants, tels pourtant que nos érudits philistins d'aujourd'hui se les représentent volontiers, ou s'ils avaient toujours vécu dans le détachement de l'orgie, au milieu de ses accents, ne respirant, ne sentant que par la débauche, comme se plaît à le concevoir pourtant une imagination fantaisiste et ignorante , la source de la philosophie n'aurait certainement pas jailli parmi eux. Tout au plus aurait-on vu surgir un ruisseau bientôt perdu dans le sable ou s'évaporant en buée, mais jamais ce large fleuve animé de ce courant superbe que nous connaissons pour être la philosophie grecque.

 

 

Friedrich Nietzsche

La philosophie à l'époque tragique des Grecs , 1.
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