22/12/2020

GLOIRE ET ÉTERNITÉ

 



1

DEPUIS quand déjà es-tu assis

Sur ton mauvais sort ?

Prends garde ! Tu me couves encore

Un œuf,

Un œuf de basilique

Sous ta longue douleur.

 

Pourquoi Zarathoustra se glisse-t-il le long de la montagne ?

 

Méfiant, sombre comme un abcès,

Guetteur de longue haleine  ;

Et soudain, un éclair,

 Clair, terrible, un coup

Contre le ciel et venu des abîmes :

Même la montagne secoue

Ses entrailles...

 

Où haine et éclair

S'unirent : une malédiction !

Sur les monts habite maintenant la colère de Zarathoustra

Qui se glisse le long de son chemin comme une nuée d'orage.

Que celui qui possède encore une couverture se cache !

Au lit, vous, les tendres !

Maintenant des tonnerres roulent sur les nuées,

Maintenant tout ce qui est mur et poutrage tremble,

Maintenant des éclairs tressaillent,

Et des vérités jaune soufre.

Maintenant Zarathoustra lance sa malédiction...

 

2

Cette monnaie avec laquelle

Tout le monde paie,

La Gloire,

Je prends cette monnaie avec des gants.

Avec écœurement je la pousse sous moi :

Qui veut être payé ?

Ceux qui sont à vendre...

Qui est à vendre essaie

De saisir avec ses mains grasses

Ce boumbalaboum de tout le monde : la Gloire !

 

Veux-tu les acheter ?

Ils sont tous à vendre.

Mais offre beaucoup !

Fais sonner ta bourse pleine

Sans quoi tu les renforces !

Tu renforces sans quoi leur vertu !...

 

Car ils sont tous vertueux !

Gloire et vertu, cela va ensemble

Aussi longtemps que va le monde

Il paie le bavardage vertueux P

ar le tapage de la gloire,

Le monde vit de ce bruit...

 

Devant tous ces vertueux

Je veux être coupable,

Me dire coupable de toute grande faute !

 

Devant ces phonographes de la gloire

Ma vanité devient vermine ;

J'ai envie alors

D'être le plus vil...

 

Cette monnaie avec laquelle

Tout le monde paie

La Gloire,

Je prends cette monnaie avec des gants,

Je la pousse avec écœurement sous moi.

 

3

Sois sage !

Parmi les grandes choses, je vois quelque chose de grand !

Dois-je me taire ?

Dois-je le dire ?

Dis-le bien haut, ma Sagesse enchantée !

Je regarde là-haut :

Là-haut roulent des mers de lumière :

O nuit, ô silence, ô bruit d'un calme de mort !...

Je vois un signe :

Du plus lointain des lointains,

Une galaxie tombe en étincelant vers moi...

 

4

Astre le plus haut de l'être !

Tableau des statues éternelles,

Descends-tu vers moi ?

Ce que nul encore ne regarda,

Ta Beauté muette,

Comment ? Elle ne fuit pas devant moi ?

 

Enseigne de la nécessité !

Tableau des statues éternelles !

Tu sais bien :

Ce que tous haïssent,

Ce que seul j'aime,

C'est que tu sois éternelle

C'est que tu sois nécessaire !

Mon Amour s'allume seulement,

Eternellement

Au nécessaire.

 

Enseigne de la nécessité !

Astre le plus haut de l'être

Qu'aucun vœu jamais n'atteignit,

Qu'aucun nom jamais ne tacha,

Oui, éternel de l'être ! Je suis ton Oui éternellement,

Car je t'aime, ô Eternité !

 

Friedrich Nietzsche ,

Poèmes, 1858-1888 , Les Dithyrambes de Dionysos.

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