LA MÉDITATION
(Çrî Bhâshya I ; I, i)
Le
premier sûtra des Brahma Sûtra a été si largement développé que l'on
peut cette fois en extraire quelques paragraphes. Il faut signaler que
les termes de mémoire ou de souvenir ne rendent pas dans son intensité
le mot sanskrit smriti qui exprime en plus le sentiment d'une présence,
sorte de toile de fond devant laquelle le sujet agit, parle, pense.
Comme toujours, le commentaire s'entremêle de citations des Écritures,
souvent imbriquées dans le texte même de Râmânuja.
La
méditation de recueillement est un acte de mémoire stable, en forme
d'exercice continu de la mémoire, sans aucune coupure, à la manière
d'une coulée d'huile ; car il est révélé « Quand on a atteint la
souvenance, tous les nœuds sont défaits », c'est-à-dire : le stable
exercice de la mémoire est un moyen de la Libération. Cette forme de
mémoire est apparentée à l'intuition, car le passage précité a même
signification que celui-ci « Le nœud du cœur est brisé, tous les doutes
sont tranchés, et les actes périssent de qui a vu Celui qui transcende
les plus hautes choses, qui est immanent aux plus humbles. » Et cela
étant, nous concluons en vertu du texte « C'est le Soi, en vérité, qu'il
faut voir... », que la méditation profonde et continue a forme
d'intuition elle aussi. Et cette mémoire doit sa forme intuitive à
l'intensité exceptionnelle de l'efficience mentale qu'elle met en œuvre.
Tout ceci a été développé tout au long par l'auteur du Discours «
Connaissance, dit-il, peut équivaloir à méditation de dévotion, puisque
la parole révélée l'emploie en se référant à celle-ci. » Ainsi
énonce-t-il que la connaissance enjointe dans toutes les Upanishad est
identique à la pieuse méditation...
Cette
forme intuitive consiste en un caractère de perception immédiate. C'est
la mémoire ainsi enrichie du caractère de perception immédiate, et par
là devenue moyen de la Délivrance, dont la Révélation spécifie la notion
en ces termes « Le Soi n'est accessible ni par la récitation du Veda,
ni par un effort de pénétration intellectuelle, ni par de nombreuses
leçons védiques : mais celui que le Soi élit, celui-là peut l'atteindre.
Le Soi lui révèle son intimité. » Après avoir dit qu'à elles seules
l'audition, la réflexion, la méditation profonde et continue ne
permettent pas d'accéder au Soi, ce texte proclame que le Soi est
atteint par celui-là seul qu'Il choisit. Car en vérité, c'est celui qui
m'est très cher qui devient digne d'être élu. Or celui à qui le Soi est
insurpassablement cher, celui-là est très cher au Soi. Et le Bienheureux
en personne se dépense pour que cet ami très cher atteigne le Soi ;
Lui-même l'a dit « A ceux qui, toujours centrés sur l'Absolu, m'adorent
par amour, je donne cette illumination unifiante grâce à laquelle ils
parviennent jusqu'à Moi. »
Ainsi
donc, celui pour qui la mémoire en forme de perception intuitive est
devenue, par l'excès d'amour qu'il porte à l'objet remémoré,
excessivement chère elle aussi, celui-là seul est digne d'être élu par
le Suprême Soi, et c'est lui qui atteint le Suprême Soi...
L'exercice
continu et stable de la mémoire en la forme ainsi décrite est ce que
l'on désigne par le terme bhakti, participation d'amour, car ce terme
est synonyme de pieuse méditation.