«La philosophie considère la raison et médite sur elle : c’est de cette contemplation que naît la science du vrai. La philologie est fondée sur l’autorité du témoignage, et elle produit la conscience de ce qui est certain.»
Giovan Battista de Vico
Il y a donc dans la métaphysique un genre de choses à la fois
inétendu et capable d'extension. C'est ce que ne voit pas Descartes,
parce que, par une méthode analytique, il pose la matière comme créée,
puis la divise. C'est ce que vit Zenon; il part synthétiquement pour
venir à parler du monde des formes que l'homme se crée avec les points,
du monde des solides, qui est l'ouvrage de Dieu. C'est ce que ne vit pas
Aristote, parce qu'il transporte d'emblée la métaphysique dans la
physique; aussi parle-t-il de la nature en langage métaphysique, par
puissance et facultés. Descartes ne pouvait le voir davantage, lui qui porte d'emblée la physique dans la métaphysique, et parle de
métaphysique en physicien, par actes et par formes. Il faut rejeter l'une
et l'autre méthode; car si définir, c'est déterminer les limites des
choses, et que les limites soient les extrémités de ce qui a forme, si
tous les objets qui ont forme sont tirés de la matière par mouvement, et
par conséquent doivent être rapportés à une nature existant
antérieurement; et si c'est mal agir, lorsqu'il y a une nature qui déjà
nous offre l'acte, de définir les choses par les virtualités, c'est un
tort aussi de caractériser les choses par des actes avant que la nature
existe et que les choses aient des formes. La métaphysique dépasse la
physique, parce qu'elle traite des vertus et de l'infini ; la physique
est une partie de la métaphysique, parce qu'elle considère les formes et
le limité. Mais comment cet infini peut-il descendre dans ce fini?
lors même que Dieu nous l'enseignerait, nous ne pourrions le comprendre;
si c'est le vrai de l'intelligence divine, c'est qu'elle le fait et le
sait en même temps. L'esprit humain a des limites et une forme ; par
conséquent, il ne peut avoir l'intelligence de ce qui est sans limite et
sans forme, il peut seulement le penser : c'est ce que nous dirions
ainsi en italien : Pué andarle raccogliendo ma non già raccorle
tutte. Mais cette pensée même, c'est un aveu de ce que les objets de la
pensée n'ont pas de forme et sont sans limites. Ainsi donc connaître
distinctement, c'est un défaut plutôt qu'une qualité : car c'est
connaître les limites des choses. L'esprit divin voit les choses dans le
soleil de sa vérité; c'est-à-dire que tandis qu'il voit les choses, il
connaît une infinité de choses avec celle qu'il voit; l'esprit humain voit l'objet qu'il connaît distinctement, comme on voit
la nuit à la lueur d'une lanterne, et en le voyant, il perd de vue tout
ce qui l'environne. Ainsi je souffre sans reconnaître aucune forme de
douleur; je ne connais pas la limite du malaise de l'âme; c'est une
connaissance indéfinie, et par conséquent convenable à la nature de
l'homme : l'idée de la douleur est pourtant vive et claire autant que
rien au monde. Mais cette clarté du vrai métaphysique est semblable à la
clarté de la lumière que nous ne voyons que par les corps opaques. Les
vérités métaphysiques sont claires, parce qu'elles ne peuvent être
renfermées dans aucune limite et distinguées par aucune forme ; les
vérités physiques sont les corps opaques qui nous font distinguer la
lumière. Cette lumière métaphysique, ou, selon le langage de l'École,
ce passage de la virtualité à l'acte, est produite par un véritable
effort, c'est-à-dire par une vertu motrice indéfinie, égale pour des
mouvements inégaux; ce qui est le caractère du point, ou vertu indéfinie
d'extension, égale pour des étendues inégales.
Giambatista Vico
De l'Antique Sagesse de l'Italie, CHAPITRE IV Des essences ou des vertus. § Ier. — Du point métaphysique ou de l’effort.
Le Chevrier italien. Effet de soleil couchant - Jean-Baptiste-Camille Corot
Giambatista Vico
De l'Antique Sagesse de l'Italie, CHAPITRE IV Des essences ou des vertus. § Ier. — Du point métaphysique ou de l’effort.
Le Chevrier italien. Effet de soleil couchant - Jean-Baptiste-Camille Corot