La métaphysique
traite de la cause dernière des choses et de tout ce qui s'étend derrière le
monde des phénomènes.
Sri Aurobindo
(p.1)
Préambule
Dans cet article équivalant à une dizaine pages, je vais tenter une présentation de la philosophie métaphysique sous l'angle de deux penseurs. L'un philosophe italien du 18e siècle, Giambattista Vico, sage de l'occident vers lequel les circonstances m'ont amené fortuitement en vertu de la loi des coïncidences, me conduisant dans une salle d'attente où se trouvait une revue littéraire présentant ce penseur. L'autre, Aurobindo Ghose, sage indien de la première moitié du 20e siècle auquel j'ai déjà consacré pas mal d'articles sur ce site. La découverte de Giambattista Vico a été un étonnement et émerveillement permanent au fur et à mesure de la connaissance de son oeuvre. Entonnement sur l'aspect méconnu d'une vision métaphysique qui défend ce que le cartésianisme a estompé, étonnement sur les similarités de pensée avec l'oeuvre Sri Aurobindo Ghose concernant leur analyse de l'histoire et de l'évolution, étonnement sur leur approche métaphysique qui se rejoint sur certains aspects. Bref un étonnement permanent, probablement celui à l'origine de la philosophie telle que l'exprime Aristote : « C’est l’étonnement qui poussa les premiers penseurs aux spéculations philosophiques ». Je vous invite donc dans cet article à partager mon étonnement et à découvrir les joyaux de la pensée métaphysique avec deux amis de la sagesse formidablement lucide.SOMMAIRE
Préambule
Pourquoi une philosophie métaphysique ?
Pourquoi une philosophie métaphysique ?
L'approche métaphysique selon Sri Aurobindo et
Giambattista Vico
Similarités dans l'oeuvre de Sri Aurobindo et de
Giambattista Vico
La métaphysique de Shrî Aurobindo : « Une
vérité à vivre intérieurement »
La métaphysique de Giambattista Vico : « La
métaphysique dépasse la physique »
La métaphysique de Sri Aurobindo et Giambattista
Vico : Enjeux communs
Pourquoi une philosophie métaphysique ?
Selon l'Encyclopédie la métaphysique
est une branche de la philosophie et de la théologie qui porte sur la recherche
des causes, des premiers principes. Elle a aussi pour objet la connaissance de
l'être absolu comme cause première, des causes de l'univers et de la
nature de la matière. Elle s'attache aussi à étudier les problèmes de la
connaissance, la nature de la réalité, de la vérité et de la liberté.
Que ce soit dans les philosophies dites
orientales, tout comme dans les philosophies dites occidentales, la métaphysique
a consisté en une préoccupation majeure et fût l'objet d'une investigation
permanente et importante chez nombre de penseurs, qu'ils soient théologiens, philosophes
ou hommes de science. Parmi eux se détache un philosophe européen,
métaphysicien en l’occurrence de par son œuvre, originale et peu connue et
pourtant des plus enrichissantes concernant sa propre vision métaphysique. Il
s'agit de l'italien Giambattista Vico (1668-1744) qui a formulé dans ses
ouvrages l'importance et la précision d'une connaissance métaphysique.
La métaphysique, comme nous l'avons vu avec
l'article Sri Aurobindo L'ami de la sagesse, « est un aspect de la
philosophie dans le sens d'une philosophie spirituelle, c'est-à-dire une
approche de la philosophie qui se veut être un élément de connaissance de la
Vérité ».
Cette base philosophique se déploie en une
connaissance métaphysique, c'est à dire englobant intégralité de tous les
mouvements apparents et occultes de l'univers, du réel manifesté et non
manifesté dans se multiples aspects et intrication.
(p.2)
L'approche métaphysique selon Sri Aurobindo et Giambattista Vico
Sri Aurobindo expose l'intégralité de sa
vision métaphysique dans La Vie divine et élargie son analyse de
l'évolution de la vie humaine dans son ouvrage Le Cycle Humain, couvrant
un large champ d'investigation dans tous les domaines de la vie, de la
spiritualité jusqu'à l'évolution des nations et leur gouvernance politique,
tout autant que le développement social, culturel de l'individu et de la
collectivité dans une perspective évolutive. Pour Jean Herbert, disciple et
traducteur attitré, « Shrî Aurobindo a d'ailleurs laissé une œuvre
considérable et fort originale sur les problèmes sociaux, de l'éducation, de
l'art, de la politique nationale et internationale, etc., que ce n'est pas la
place de résumer ici, mais qui forme un tout avec son enseignement
philosophique et yoguique ».
L'exposé métaphysique de Giambattista Vico dans
la Science nouvelle, La méthode des études de notre temps ou De
l'antique sagesse de l’Italie, fournit un matériau essentiel pour porter
notre intellect vers les lumières de la connaissance et nous permettre
d'accéder à une vision de l'univers qui ne peut que contribuer à nous élever
dans notre recherche intérieure.
Comme l'explique Maxime Rovere dans Le
Magazine Littéraire (N° 497-mai 2010), Giovan Battista de Vico expose
dans De ratione, « la critique d'une rationalité trop technique
qui perd nécessairement son accroche morale, en appelle donc à une science qui
n’ignore pas, malgré ses réussites, qu’il n’y a de science que par l’homme, de
sorte que nos savoirs en disent toujours plus long sur les hommes que sur les
choses elles-mêmes ».
L'auteur de cet article sur le philosophe
souligne par ailleurs que : « L’enjeu de ces
méditations est d’interroger l’orientation que les études, et par là même
la pensée en général, ont prise en Europe depuis Descartes, et plus encore
depuis que ses successeurs ont fait du cartésianisme une sorte de règne de
l’intellect. En prétendant étendre à tous les domaines du savoir la méthode de
l’analyse géométrique, le cartésianisme a, selon Vico, coupé les jeunes gens de
la tradition de l’humanisme rhétorique, et a cherché à étouffer en eux tout ce
qui relève du domaine de la sensibilité, de la mémoire et de l’imagination,
c’est-à-dire des facultés prédominantes dans la jeunesse ».
(p.3)
Bien qu'écrit au VIII siècle, ces méditations
sont d'une grande modernité et apporte une acuité non négligeable à notre
réflexion sur notre société contemporaine et ses valeurs, et sur le coeur
fondamental de toute société, à savoir l'éducation.
Dans la Science Nouvelle, ouvrage majeur
de Giambattista Vico, le critique littéraire souligne une de ses pensées les
plus pertinentes face au cartésianisme dominant et quasi exclusif de nos
sociétés depuis les Lumières, à savoir que :
« À ce monde cartésien abstrait, sec,
menacé par ce qu’il appellera plus tard, dans sa Science nouvelle, la “barbarie
de la réflexion”, Vico oppose le monde humain réel, dans sa richesse et sa
complexité, celui qui est créé, “inventées” par les hommes eux-mêmes, création
et invention qui mettent en oeuvre la totalité de leurs facultés, en
particulier leur ingenium, qui n’est pas un simple instrument de
déduction, mais une puissance inépuisable d’innovation ».
Cette réflexion sur la méthode d'éducation fait
écho à la vision que Sri Aurobindo en a, tel que le souligne I.Sen, dans L’éducation
intégrale (Integral education1952) :
« A aucun moment, l’éducation ne devrait
perdre de vue la plus noble aspiration de l’homme : l'éveil et le
développement de son être spirituel, concept sous-jacent à l’éducation
intégrale authentique et vivante ».
Ernest Renan l'avait compris lorsqu'il exprima
que : « L'essentiel dans l'éducation, ce n'est pas la doctrine
enseignée, c'est l'éveil ».
M. K. Raina dans Profils
d’Éducateurs développe cette conception de l'éducation :
« Une éducation intégrale est conçue
comme un processus de croissance organique permettant de développer et
d’intégrer les différentes facultés de l’enfant selon son inclination, la
rapidité de sa progression, les lois du développement qui lui sont propres, ses
dispositions naturelles (swabhava) et sa nature profonde (Swadharma). Sri
Aurobindo ne perçoit pas l’éducation intégrale comme la juxtaposition de
disciplines, ni même comme la juxtaposition de différentes facultés. Son idée
est de favoriser le développement d’un certain nombre de facultés, de sujets
d’étude et de combinaisons dans la quête de la connaissance, des pouvoirs, de
l’harmonie et des compétences dans le travail. Ces facultés sont inculquées de
manière à ce que chaque élève et chaque enseignant puissent s’en servir pour
favoriser naturellement un développement harmonieux ».
(p.4)
Similarités dans l'oeuvre de Sri Aurobindo et de Giambattista Vico
Il est étonnant de retrouver une similarité
d'approche dans l'oeuvre de Sri Aurobindo et de Giambattista Vico à quelques
siècles d'écart... Que ce soient dans l'analyse des structures de l’évolution
des nations, de l'évocation des dangers de la barbarie et de ses origines, tout
autant que dans cette volonté permanente d'englober une vision la plus large
possible, et en remontant à des sources les plus profondes pour viser à une
évolution dépassant tous les carcans anciens tout en s'appuyant sur ces sources
antiques pour parvenir à nous donner l'élan de poursuive l'évolution
individuelle et collective. Tous deux firent preuve d'un esprit de synthèse
remarquable tout en ayant un point de vue le plus inclusif et large qui soit.
En tant que précurseur de la philosophie de
l'histoire, Giambattista Vico fait aussi écho à Sri Aurobindo qui s'est appuyé
sur les travaux de l'historien Karl Lamprecht pour développer de façon plus
poussée le système de développement historique par phases dont il fit la base
de sa description de sa psychologie du développement social (Le Cycle
Humain).
L'un et l'autre se sont penchés sur leurs pères
pour mieux aiguiser l'esprit, notamment chez les sages de l'antiquité grecque.
Pour Sri Aurobindo « La philosophie et la pensée des Grecs sont
peut-être le plus puissant stimulant intellectuel, la clarté la plus fructueuse
que le monde ait jamais connus ». Il ajoutera dans son essai Heraclitus,
(et c'est ce qui le rapproche de Giambattista Vico dans cette volonté de
remonter aux sources): « La méconnaissance des mystiques, qui
sont nos premiers pères, pûrve pitarah, est la grande faiblesse que
présente l'exposé moderne de l'évolution de notre pensée ».
Cette
volonté de remonter aux origines de
l'antique sagesse se retrouve dans leur intérêt commun pour la Grèce et
pour
l'étude des langues antiques afin de décrypter l'antique sagesse de la
mythologie gréco-romaine pour l'un, et védique pour l'autre. Sri
Aurobindo
décryptera le sens caché des Védas en étudiant comparativement les
langues
dravidiennes et le sanskrit. Giambattista Vico décryptera la
signification des
mythes et le fondement de la société par l'étude comparée de la langue
italienne et gréco-latine. Cette approche philologique permet de nous
faire saisir cette intuition qui fait dire à Jakob le personnage
principal du film Heimat de Edgar Reitz que : « Toutes les langues sont surement reliés par une compréhension secrètes, sinon les gens ne se comprendraient pas ». Cette
investigation de l'origine du langage apporte un éclairage étymologique
indispensable, rejoignant le grand grammairien indien Bhartrihari, du
VIe siècle, pour qui la connaissance de la Réalité suprême est
sous-jacente au langage, particulièrement au sanskrit en ce qui le
concerne. Nous retrouvons cette approche chez le maître tantrique du
Cachemire Abhinavagupta pour qui tous les mots désignent le Soi. La
parole par laquelle s'exprime le langage, est l'expression verbale du
corps, « lieu même de la transformation, car le corps est lieu par excellence des rapports du temps et de l'éternité » comme le souligne David Dubois dans son ouvrage "Abhinavagupta, la liberté de conscience". Le mystique et alchimiste soufi Jâbir ibn Hayyân démontre dans le "Livre des définitions"
qu'il accordait lui aussi une grande importance à la connaissance de la
langue et des mots, permettant d'effectuer des mutations pour proposer
une nouvelle lecture du monde.
Tout aussi étonnant est l’importance que Shrî Aurobindo et Giambattista Vico accordent tous deux à la poésie. Elle tient une place essentielle et considérable dans la vie, dans leur vie et leur oeuvre et lui rendront hommage en conséquence. Cette étude de la poésie est logique de part son lien avec le langage.
De plus, l'intérêt commun que tous deux portent aux sphères de l'esprit et à la métaphysique à travers une haute réflexion sur le divin et sur l'éducation s'appuyant sur la connaissance et l'élévation de l'âme n'est pas sans étonnement. Sri Aurobindo a évoqué la nécessité d'une éducation militante. Nous retrouvons cette volonté de prendre en compte l'importance de l'éducation chez Giambattista Vico qui fît la distinction du terme eduquer, de sorte que educere (conduire hors de) désigne l'éducation de l'âme; et educare (nourrir) se rapporte à l'éducation du corps.
Étonnant aussi est la volonté qu'ils ont eue
de rédiger leur autobiographie dans un style employant la troisième personne
afin de ne laisser aucune ambiguïté au lecteur sur les faits concernant leur
vie telle qu'il l'ont vécu de leur for intérieur, ce qu'aucun biographe ne peut
accomplir.
(p.5)
La métaphysique de Shrî Aurobindo :
« Une vérité à vivre intérieurement »
La métaphysique de Shrî Aurobindo, tel que
l'explique Jean Herbert, se propose de nous expliquer à la fois le
monde tel qu'il nous apparaît et la réalité plus profonde que nous cachent les
apparences. De même sa psychologie traite à la fois de l'être que nous avons
conscience d'être et de « ce " beaucoup plus " que nous sommes
secrètement ».
Mais pour Shrî Aurobindo, la
métaphysique, quelque importance qu'il y attache, a toutefois pour principal
intérêt qu'elle fournit une base sûre à son yoga. Vue dans l'expérience vécue,
elle indique à la fois les possibilités d'évolution de l'individu, de la race
et de l'univers, le cheminement de cette évolution et les techniques à
appliquer pour s'y associer .
L'ensemble de cette vision métaphysique
sous ses divers aspects et à ses divers degrés ne saurait être saisi par
l'intellect dont dispose l'homme ; il ne peut être perçu que par l'expérience
intérieure individuelle à laquelle conduisent les disciplines appropriées, par « le
pouvoir de perception de la vision intérieure [qui] est plus grand et plus
direct que le pouvoir de perception de la pensée », par « une
logique dont les enchaînements ne sont pas les degrés de la pensée, mais les
degrés de l'existence ». « Ce n'est pas une vérité à prouver,
mais une vérité à vivre intérieurement, une plus grande réalité en laquelle il
nous faut grandir. » Elle ne doit cependant pas être contredite par
notre raison, qui doit pouvoir en fournir une explication conséquente. C'est
pourquoi Shrî Aurobindo peut présenter son enseignement à ce sujet en termes de
métaphysique.
Shrî Aurobindo ne laisse de côté aucun
problème, car « dans la pensée métaphysique comme dans la science, la
solution générale et finale qui a des chances d'être la meilleure est celle qui
inclut tout et rend compte de tout ». Aussi a-t-il pu écrire : « Chaque
chose prend sa place dans l'ensemble . » Même « une réelle
solution du problème de l'existence ne peut se baser que sur une vérité qui
rende compte de notre existence et de l'existence du monde et concilie leur
vérité, leur juste rapport, avec la vérité de leur rapport avec la Réalité
transcendante, quelle qu'elle soit, qui est la source de tout ».
(p.6)
La métaphysique de Giambattista Vico :
« La métaphysique dépasse la physique »
Pour Giambattista Vico « La métaphysique
était la vraie science parce qu’elle traitait des vertus éternelles ».
Ces vertus sont les vérités éternelles, il s'agit
donc de déterminer le vrai. Pour Giambattista Vico « De même le vrai
métaphysique est absolument clair, il n’a point de limite, et point de forme
qui le détermine, parce qu’il est le principe infini de toutes les
formes ; les choses physiques sont opaques, c’est-à-dire qu’elles ont une
forme et des limites, et c’est en ces choses que nous voyons la lumière du vrai
métaphysique ».
Cette détermination du vrai,
de la vérité
ultime des choses et de leur rapport avec l'infini qui les a créés, est
le
coeur des réflexions métaphysiques de Sri Aurobindo pour qui toute la
recherche
spirituelle de l'homme doit être de connaître tous les rapports entre
l'infini
et le fini, car c'est l’enjeu de toutes les philosophies spirituelles et
de
toutes les voies de yoga et ascèses qui s'ensuivent, et par conséquent
de
comment l'être humain peut parvenir à entrer en rapport avec Dieu sans
exclure
aucun de ses aspects ni aucune de ses possibilités. Or, bien souvent,
comme l'a
constaté Sri Aurobindo, chaque philosophie spirituelle élabore un
système de
connaissance puis de pratique de développement de soi basé sur un aperçu
unique
du divin , en cherchant un de ses aspects à l'exclusion de tout autre.
L'objectif
du yoga intégral est d'embrasser et de réaliser le divin dans tous ses
aspects
et par de là tout aspect. D'où l'importance d'une vision métaphysique
qui
servira au chercheur avant tout à concevoir le divin en tant qu'Infini
et ses rapports
avec le fini afin d'élargir le champ de conceptions mentales que le
chercheur
pourra avoir, ce qui lui permet de se défaire de tout à priori sur ce
qu'est le
divin, et de ne pas restreindre sa vision de l'Infini selon des
conceptions
issues de ses idées limitatives, et de-là, faire l'expérience en lui de
la
vérité divine la plus élevée et la plus intégrale. Cette prospection des
rapports entre le fini est l'infini est un enjeux très important dans
l'orientation de la quête spirituelle de l'Homme, car déterminant les
pratiques spirituelles qui en découlent et les systèmes dans lesquelles
s'inscrivent ces pratiques selon leur conception métaphysique de la
Réalité. C'est une des bases du yoga intégral car pour Sri Aurobindo «Le fini est une circonstance de l'infini, non une contradiction ».
Nous retrouvons cette approche intégrale chez Abhinavagupta, maître du
Tantra, système dont Sri Aurobindo fera d'ailleurs l'éloge pour son
intégration de la vie tout entière comme moyen d'évolution spirituelle.
Pour Abhinavagupta, comme le remarque David Dubois dans l'ouvrage qu'il
lui consacre "Abhinavagupta, la liberté de conscience": «Il faut
connaître toutes les choses, en leur totalité et sous tous leurs
aspects. La connaissance, c'est celle qui délivre de la finitude, c'est
donc l'omniscience. La vraie connaissance est la connaissance global et
intégral du réel ». Nous retrouvons par ailleurs beaucoup de
similitudes entre Sri Aurobindo et Abhinavagupta dans leur système
métaphysique, mais concentrons-nous pour l'heure sur la métaphysique de
Giambattista Vico.
De son côté, Giambattista Vico s'est donc évertué à définir dans sa
métaphysique les rapports entre le fini et l'infini et de comment le fini est
créé par l'infini. Il porta sa réflexion sur ce qu'est la réalité, le vrai, par
la connaissance de la source divine en tout et de ce que l'homme par son esprit
peut en connaître.
« La métaphysique dépasse la physique,
parce qu'elle traite des vertus et de l'infini ; la physique est une
partie de la métaphysique, parce qu'elle considère les formes et le limité.
Mais comment cet infini peut-il descendre dans ce fini? Lors même que Dieu nous
l'enseignerait, nous ne pourrions le comprendre; si c'est le vrai de
l'intelligence divine, c'est qu'elle le fait et le sait en même temps. L'esprit
humain a des limites et une forme ; par conséquent, il ne peut avoir
l'intelligence de ce qui est sans limites et sans forme, il peut seulement le
penser : c'est ce que nous dirions ainsi en italien : Pué andarle
raccoglieiido ma non già raccorle tutte. Mais cette pensée
même, c'est un aveu de ce que les objets de la pensée n'ont pas de forme et
sont sans limites. Ainsi donc connaître distinctement, c'est un défaut plutôt
qu'une qualité : car c'est connaître les limites des choses. L'esprit
divin voit les choses dans le soleil de sa vérité; c'est-à-dire que tandis
qu'il voit les choses, il connaît une infinité de choses avec celle qu'il voit;
l'esprit humain voit l'objet qu'il connaît distinctement, comme on voit la nuit
à la lueur d'une lanterne, et en le voyant, il perd de vue tout ce qui
l'environne ».
(p.7)
La métaphysique de Sri Aurobindo et Giambattista Vico :
Enjeux communs
Nous voyons comment Giovan Battista de Vico
accorde une importance bien supérieure à la métaphysique par rapport à la
physique. Sa critique de la méthode de René Descartes vise à nous montrer
les limites que celle-ci produit dans notre capacité à connaître le vrai. Les
facultés imaginatives que Giambattista Vico réhabilite en tant que facultés de
connaissance tout aussi importantes que la raison (tout comme l'eut fait Paracelse au 15è siècle), doivent être développées
dans l'éducation de l'homme et non pas reléguées à un rang inférieur voir
annihilées. Les implications d'une telle approche sont doubles. D'une part la
connaissance s'interdit-elle tout recours à l'imagination? Loin s'en faut, et
les plus hautes découvertes scientifiques n'auraient pu avoir lieu sans une
faculté d'imagination libre de ses mouvements. D'autre part, et c'est en cela
que Giambattista Vico et Sri Aurobindo Ghose se rejoignent dans leur vision
métaphysique, c'est que la science par la nature même de son approche du
visible et du tangible ne peut appréhender toute la Vérité et découvrir les
lois de l'Esprit. Alors que la physique étudie le fait matériel, s'intéresse à
l'étude de la matière, la métaphysique s'emploie à étudier le monde des
phénomènes tout autant que ce qui s'étend derrière le monde des phénomènes et
le rapport qu'il existe entre l'un et l'autre. Traduire les faits de l'Esprit
et de l'Infini, en des termes scientifiques, pour la plupart issues de la
physique quantique, est une tentative encore maladroite et immature, car
tronquant une partie du Réel par des termes limitants. Vouloir démontrer
la réalité de l'esprit en des termes scientifiques et dénommer Dieu en des
termes quantiques amène à tronquer la signification même du mot Dieu, qui
étymologiquement signifie lumière. L'âme sera toujours fille de Dieu.
L'aspiration de l'âme à la découverte du Divin dépassera toujours ces
tentatives stériles de traduire ce qui attrait à Dieu en des termes nouveaux se
voulant appréhendables par tous et issues des conceptions quantiques de ce
qu'est la Réalité. Certes il y a une tentative d'élargir la conception de ce
qu'est l'Esprit, l'intelligence de l'Univers, pour dépasser les carcans
restrictifs et périmés de la vision judéo-chrétienne de Dieu, et de tout ce que
les religions en général en ont fait, mais cela restera limité pour autant que
nous voulions remplacer des termes traditionnellement significatifs par des
termes et des conceptions plus scientifiques.
(p.8)
Le danger est de réduire la spiritualité sous
l'égide d'un esprit scientifique qui prendra à son tour un caractère
dogmatique, tel qu'on le voit déjà à l’œuvre dans tout ce qui concerne les
faits de la vie, restrictions des faits à ce qui est valable parce que
démontrable scientifiquement. C'est l'horreur scientifique qui peut conduire à
une barbarie d'une nouvelle forme en ce sens qu'elle réduit la vie à sa simple
expression de la rationalité scientifique et fait fît de la nature innée de
l'âme et de sa capacité à rejoindre le divin, de par le seul fait que ce mot évoque
parce qu'il a une véritable signification intrinsèque pour le mystique, dont
l'aspiration s'affranchît de toute tentative humaine de créer des néologismes
basés sur des conceptions plus attrayantes, dans l'air du temps. La poésie
tient une place capitale en ce sens qu'elle fait appelle à des facultés
intuitives qui permettent de réenchanter le monde, d'innover par un nouveau regard,
une nouvelle façon de percevoir le réel et de créer le monde d'après une vision
plongeant dans la plus sublime des réalités spirituelles. Tel est le sens du
mot poète, créateur de nouvelles réalités sur la base de l'intuition pénétrant
dans la gnose la plus haute. La poésie gnostique fait descendre des plus hauts
sommets les réalités divines, et éveille les qualités de l'Esprit en leur sens
d’émerveillement, de paix, d'amour suprême pour tout ce qui est, de douceur, de
joie d'être, de vision de l'énergie à l’œuvre en toute chose et de comment
façonner la réalité future avec la beauté qui en émane.
Pour conclure ce bref essai, étant instruit de cette importance et nécessité de la
métaphysique, nous aurions tout intérêt à prendre connaissance de l’œuvre de
Giambattista Vico, qui selon moi, fait partie des philosophes du XVIIIe peu
connu (car supplanté par Descartes), dont l'étude comblerait l’ignorance que
nous avons en bien des domaines et des croyances erronées sur beaucoup
d'autres...
Sylvère