DE
L’ANTIQUE SAGESSE DE L’ITALIE
RETROUVÉE
DANS LES ORIGINES DE LA LANGUE LATINE.
L’ANTIQUE SAGESSE DE L’ITALIE
RETROUVÉE
DANS LES ORIGINES DE LA LANGUE LATINE.
Giambattista
Vico (1668 – 1744)
CHAPITRE
IV
Des essences ou des vertus.
Des essences ou des vertus.
§ Ier. — Du point métaphysique ou de l’effort.
Chez les Latins punctum et momentum
avaient le même sens ; or, momentum, c’est ce qui meut, et le point
comme le momentum était pour les Latins quelque chose d’indivisible. Les
anciens sages de l’Italie auraient-ils pensé qu’il y a une vertu indivisible
d’extension et de mouvement ? Cette doctrine aurait-elle passé, comme
beaucoup d’autres, d’Italie en Grèce, où Zénon l’a prise et modifiée ? Il
ne semble pas que personne ait jamais eu d’idée plus juste de cette vertu
indivisible d’extension et de mouvement que les stoïciens, qui y ont appliqué
l’hypothèse du point métaphysique. D’abord il est incontestable que la
géométrie et l’arithmétique sont bien plus vraies, ou du moins présentent une
bien plus haute apparence de vérité, que toutes les sciences qu’on appelle
subalternes ; et d’un autre côté, il est très vrai que la métaphysique est
la source unique du vrai, qui descend de là aux autres sciences. Or, chacun
sait que les géomètres font partir du point leurs méthodes synthétiques, que de
là ils marchent à la contemplation de l’infini, à l’aide de fréquents postulats
qui leur permettent de prolonger des lignes à l’infini. Si l’on demande par
quelle voie ce vrai ou cette espèce de vrai passe de la métaphysique dans la
géométrie , cette voie n’est autre que celle où ce point nous donne un étroit
accès. Car la géométrie emprunte à la métaphysique la vertu d’extension, vertu
qui étant celle de l’objet étendu, le précède, et est par conséquent inétendue.
De même que l’arithmétique prend dans la métaphysique la vertu du nombre,
c’est-à-dire l’unité, qui, étant la vertu du nombre, n’est pas le nombre; ainsi
que l’unité qui n’est pas le nombre, engendre le nombre, de même le point, qui
est inétendu, engendre l’étendue. En effet, lorsque le géomètre définit le
point ce qui n’a pas de parties, ce n’est qu’une définition de mot; il n y a
point de chose qui n’ait point de parties et qu’on puisse cependant représenter
soit mentalement, soit graphiquement; la définition de l’unité, en
arithmétique, n’est pareillement que la définition d’un mot, puisqu’on suppose
une unité susceptible de multiplication, ce qui ne peut convenir à une unité
réelle. Mais l’école de Zenon considère cette définition du point comme très
réelle, en tant que le point a son type dans ce que l’esprit humain peut penser
de la vertu indivisible d’extension et de mouvement. Aussi est-ce une erreur
que cette opinion vulgaire selon laquelle la géométrie tire son sujet de la
matière, et, comme dit l’École, l’en abstrait. Zenon pensait qu’aucune science
ne traite de la matière avec plus d’exactitude et de justesse que la géométrie,
mais de cette matière que lui fournit la métaphysique , c’est-à- dire de la
vertu d'extension. Les démonstrations d'Aristote contre l'école de Zenon
touchant les points métaphysiques , n'auraient pas tant d'autorité auprès des
sectateurs du premier, si le point géométrique n'était pas pour les stoïciens
un signe du point métaphysique, et le point métaphysique la vertu même du corps
physique. On peut en dire autant pour Pythagore et ses disciples, de l'un
desquels Platon nous a transmis les doctrines dans son Timée; lorsqu'ils
appliquaient la théorie des nombres aux choses de la nature, ils ne voulaient
pas dire que la nature fût véritablement faite de nombres ; mais ils
cherchaient à expliquer le monde extérieur par le monde qu'ils contenaient en
eux. Il en est de même de Zenon et de sa secte, qui considérèrent les points
comme les principes des choses.