« et que devient la vie pour qui professe
l’idéalisme pour de bon, avec toutes ses conséquences ?
Léon Brunschvicg, Agenda retrouvé 1892 et 1942
»
"Avec ou sans religion, les personnes bonnes
feraient le bien, les individus mauvais feraient le mal. Mais pour que les
personnes bonnes fassent le mal, il faut que la religion s'en mêle"
Steven Weinberg
Pour approfondir notre réflexion sur la religion voici quelques extraits de
Léon BRUNSCHVICG, de son texte Le Dieu des philosophes et des savants:
Le drame de la conscience religieuse depuis trois
siècles est défini avec précision par les termes du Mémorial du 23 novembre
1654 : entre le Dieu qui est celui d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et le Dieu qui
est celui des philosophes et des savants, les essais de synthèse, les
espérances de compromis, demeurent illusoires.
Notre âme est là ; et nous l'atteindrons à condition
que nous ne nous laissions pas vaincre par notre conquête, que nous sachions
résister à la tentation qui ferait de cette âme, à l'image de la matière, une
substance détachée du cours de la durée, qui nous porterait à nous abîmer dans
une sorte de contemplation muette et morte. La chose nécessaire est de ne pas
nous relâcher dans l'effort généreux, indivisiblement spéculatif et pratique,
qui rapproche l'humanité de l'idée qu'elle s'est formée d'elle-même....
....si les religions sont nées de l'homme, c'est à
chaque instant qu'il lui faut échanger le Dieu de l'homo faber, le Dieu forgé
par l'intelligence utilitaire, instrument vital, mensonge vital, tout au moins
illusion systématique, pour le Dieu de l'homo sapiens, Dieu des philosophes et
des savants, aperçu par la raison désintéressée, et dont aucune ombre ne peut
venir qui se projette sur la joie de comprendre et d'aimer, qui menace d'en
restreindre l'espérance et d'en limiter l'horizon. Dieu difficile sans doute à
gagner, encore plus difficile peut-être à conserver, mais qui du moins rendra
tout facile. Comme chaque chose devient simple et transparente dès que nous
avons triomphé de l'égoïsme inhérent à l'instinct naturel, que nous avons
transporté dans tous les instants de notre existence cette attitude d'humilité
sincère et scrupuleuse, de charité patiente et efficace, qui fait oublier au
savant sa personnalité propre pour prendre part au travail de tous, pour ne
songer qu'à enrichir le trésor commun !
...Les théologiens se sont attachés à distinguer
entre la voie étroite : Qui n'est pas avec moi est contre moi, et la voie large
: Qui n'est pas contre moi est avec moi. Mais pour accomplir l'Évangile, il
faut aller jusqu'à la parole de charité, non plus qui pardonne, mais qui n'a
rien à pardonner, rien même à oublier : Qui est contre moi est encore avec moi.
Et celui-là seul est digne de la prononcer, qui aura su apercevoir, dans
l'expansion infinie de l'intelligence et l'absolu désintéressement de l'amour,
l'unique vérité dont Dieu ait à nous instruire;
L’hypothèse d’une transcendance spirituelle est
manifestement contradictoire dans les termes ; le Dieu des êtres raisonnables
ne saurait être, quelque part au delà de l’espace terrestre ou visible, quelque
chose qui se représente par analogie avec l’artisan humain ou le père de
famille. Étranger à toute forme d’extériorité, c’est dans la conscience
seulement qu’il se découvre comme la racine des valeurs que toutes les
consciences reconnaissent également. »
« Autrement dit, nous ne pouvons pas appuyer la
spiritualité sur la transcendance, sous quelque forme qu’elle se présente à
nous. Il nous restera donc à rechercher comment la philosophie de l’esprit peut
être définitivement conçue en tant que philosophie de l’immanence. »
Léon Brunschvicg — La Philosophie de l’Esprit