Le pas que
l'humanité doit faire immédiatement, c'est
une guérison définitive de l'exclusivisme
Mère,
Pondichery
« La
Vérité est un pays sans chemin, que l'on ne peut atteindre par aucune route,
quelle qu'elle soit : aucune religion, aucune secte. »
Jiddu
Krishnamurti
Pour continuer notre réflexion sur
la religion voici pour commencer l'extrait d'un texte de Léon BRUNSCHVICG, Raison
et religion:
"Le
propre de l'esprit est de s'apparaitre à lui même dans la certitude d'une
lumière croissante, tandis que la vie est essentiellement menace et ambiguïté.
Ce qui la définit c'est la succession fatale de la génération et de la
corruption. Voilà pourquoi les religions, établies sur le plan vital, ont beau
condamner le manichéisme, il demeure à la base de leur représentation
dogmatique... ce qui est constitutif de l'esprit est l'unité d'un progrès par
l'accumulation unilinéaire de vérités toujours positives. L'alternative
insoluble de l'optimisme et du pessimisme ne concernera jamais que le centre
vital d'intérêt; nous pouvons être et à bon droit inquiets en ce qui nous
concerne de notre rapport à l'esprit, mais non inquiets de l'esprit lui-même
que ne sauraient affecter les défaillances et les échecs, les repentirs et les
régressions d'un individu, ou d'une race, ou d'une planète. Le problème est
dans le passage , non d'aujourd'hui à demain, mais du présent temporel au
présent éternel. Une philosophie de la conscience pure, telle que le traité de
Spinoza "De intellectus emendatione" , en a dégagé la méthode, n'a
rien à espérer de la vie, à craindre de la mort. L'angoisse de disparaitre un
jour, qui domine une métaphysique de la vie, est sur un plan; la certitude
d'évidence qu'apporte avec elle l'intelligence de l'idée, est sur un autre
plan"
Léon
BRUNSCHVICG Raison et religion
Nous savons tous que le
sens de religion est de relier, de se relier. Se relier à plus grand que soi, à
une identité élargie, l'identité profonde de qui nous sommes et de ce qui fonde
notre humanité commune mais aussi notre conscience fondamentale au-delà de
toutes nos identifications et appartenances restrictives. Se relier à cette
source spirituelle au-dessus de tous nos particularismes et nos différencse, dans
un appel à l'unique transcendance est ce que nous pouvons nommer religion.
Force est de constater qu'au cours des siècle l'être humain s'est éloigné de
cet idéal, de cette aspiration première, les religions étant devenues ce que nous
en savons... Nous pouvons même légitimement nous interroger sur la sagesse des
auteurs des textes ayant fondées des religions, car si ces auteurs avaient été
vraiment des sages, ils n'auraient en aucun cas écrits et publiés les textes des
diverses religions que nous connaissons...Il y a donc eu récupération, et
falsification pour le compte d'intérêts politiques et de domination au fil des
intérêts changeant au cours de l'histoire. La religion étant l'opium du peuple
pour reprendre le trop connu adage de Marx, il suffisait d'en distiller
suffisamment aux populations pour les tenir sous le joug d'une domination qui
se perpétue encore de nos jours, quoique plus faible ou convulsant dans une
dernière crise, espérons-le, avant de faire table rase sur la question
religieuse et de permettre à l'humanité de dépasser une bonne fois pour
toute le conflit religieux qui anime son histoire et la maintien dans
l'ignorance, opposant les êtres humains jusqu'à verser leur sang au nom d'une
vérité...
Dans
« Sur la religion » (Parerga et paralipomena) Arthur Schopenhauer
souligne, entre autre, les points suivants :
"L’homme, « animal
métaphysique », cherche la vérité. La religion, qui est la
métaphysique du peuple, s’adresse à la masse. Elle lui offre par la révélation
une vérité au sens allégorique. La philosophie, quant à elle,
s’adresse à une minorité et recherche la vérité au sens
propre."
« L’humanité grandit dans la
religion comme dans un vêtement d’enfant ; vient le moment où ce n’est plus
possible : les boutons tombent »
« Les religions sont comme les
vers luisants : pour briller, il leur faut l'obscurité. »
« Les religions sont les enfants
de l'ignorance, et ne survivent pas longtemps à leur mère. »
« La religion est la métaphysique
du peuple ; il faut absolument la lui laisser, et par conséquent l'honorer
extérieurement ; la discréditer, c'est la lui enlever. De même qu'il y a une
poésie populaire, et, dans les proverbes, une sagesse populaire, il doit y
avoir aussi une métaphysique populaire. »
« La religion est la vérité
exprimée sous une forme allégorique et mythique, et rendue ainsi accessible et
assimilable à l'humanité en gros. Pure et non mélangée, celle-ci ne pourrait
jamais la supporter, pas plus que l'homme ne peut vivre dans l'oxygène pur ».
Quant à Raimon Panikkar, il avait
dit à juste titre que le défis majeur de l'humanité serait d'établir un pont
entre toutes les religions. C'est en effet un besoin crucial pour l'entente
entre les êtres humains de différentes confessions religieuses, pour
l'acceptation des différences de dogmes et le respects des aspirations de
chacun dans sa quête. C'est une base nécessaire qui devra permettre
d'élargir cette quête au-delà du religieux, au-delà de la nécessité
d'appartenir à telle religion et de s'identifier à l'une d'entre elle, en
s'affranchissant de tout dogmatisme et autorité extérieure. Ce besoin
d'évolution vers une capacité de vivre ensemble, et pour permettre à l'individu
de choisir totalement et librement son aspiration vers sa quête de
transcendance, se fera de plus en plus pressant par le biais même des
religions, à travers leur capacité de ne pas s'attacher à leur revendication
dogmatique et de s'entendre pour dialoguer. Si cette intelligence ne se
développe pas entre les hommes de religions, inévitablement les conflits
s'installeront pour aboutir à leur destruction ce qui conduira l’humanité de
trouver cette liberté plus grande que l'évolution cherche à insuffler coûte que
coûte. Cette liberté à été confisqué par les religions en entretenant un
système basé sur la peur qui conduit dans certaines religions à la
culpabilisation permanente.
L'essence intime de la
religion
Vivékânanda faisait remarquer
que l'unité de toutes les religions devait nécessairement se traduire par une
richesse et une variété de formes grandissantes, et il disait un jour que cette
unité essentielle trouverait son état parfait lorsque chaque homme aurait sa
propre religion et que n'étant plus lié par aucune secte ni aucune forme
traditionnelle, chacun suivrait librement le mouvement d'adaptation de sa
nature dans ses rapports avec le Suprême
Sri Aurobindo, La Synthèse des
yogas
Nous trouvons donc là un éclairage
sur ce qu'en réalité devrait être la religion et sur ce qu'elle est intimement.
La religion dans le sens où elle est le moyen de se relier à l'esprit suprême,
à la source de tout ce qui est, quel que soit le nom qui lui est donné dans les
religions, quelques soient les croyances et les aspirations des êtres qui
éprouvent ce besoin de le chercher au fin-fond d'eux-mêmes. Vivekanandâ
souligne donc que l'homme a une grande liberté, et doit cultiver cette grande
liberté dans le choix même de sa religion de sa spiritualité, et que c'est sur
cette liberté qu'il doit forger son propre moyen de se relier, de trouver le
divin, d'accéder à sa libération. Les religions en général privent l'homme de
cette liberté, par le fait même qu'elles se préoccupent plus de leur idéologie
que de leur but essentiel. Les religions sont davantage des idéologies
religieuses que des moyens intimes pour l'homme de parvenir à sa quête.
Cette quête, en définitive, ne regarde que chacun et le principal travers des
religions est d'avoir voulu imposer leurs idées, leur credo aux autres, d'avoir
abuser d'une autorité qui s'est manifesté en autoritarisme, servant ainsi les
intérêts des puissants. C'est en effet une question d'ordre intime, dans
son intimité profonde, et dans l'intimité de sa relation à Dieu que chaque être
devrait se préoccuper d'exercer sa pratique religieuse et spirituelle. C'est
ainsi que chaque religion pourra trouver sa place et que la tolérance
s'amorcera. L'homme doit refondre en lui-même et pour lui-même le sens profond
et spirituel que la religion contient en elle-même.
Pour Sri Aurobindo :
Le cœur profond,
l'essence intime de la religion, indépendamment de la machinerie extérieure des
credo, des cultes, des cérémonies et des symboles, est la quête et la
découverte de Dieu. Son aspiration est découvrir l'Infini, l'Absolu, l'Un, le
Divin qui est toutes ces choses, et n'est cependant pas une abstraction mais un
être. Sa tâche est de vivre sincèrement et totalement les relations vraies et
intimes de l'homme avec Dieu : relation d'unité, relation de différence,
relation de connaissance illuminée, d'amour et de félicité extatique, de
soumission et de services absolu- d'arracher à leur état ordinaire toutes les
parties de notre existence et de faire jaillir l'homme jusqu'au Divin et
descendre le Divin dans l'homme.
[...]
En vérité, la raison a un rôle à jouer vis-à-vis du domaine supérieur de notre
être religieux et de son expérience, mais ce rôle est tout à fait secondaire et
subordonné. Elle ne peut pas dicter les lois de la vie religieuse, elle ne peut
pas fixer d'autorité les méthodes de la connaissance divine; elle ne peut pas
styler l'amour divin et sa béatitude ni leur faire la leçon; elle ne peut pas
assigner des bornes à l'expérience spirituelle ni imposer son joug à l'action
de l'homme spirituel. Son seul rôle légitime est d'expliquer aux éléments
rationnels et intellectuels de l'homme, aussi bien qu'elle le peut et dans son
langage, les vérités, les expériences et les lois de notre existence
supra-rationnelle et spirituelle. [...]
Sri Aurobindo, Le Cycle Humain,
extrait, chp. XIII, "Raison et Religion"
C'est donc
avec une grande justesse que le philosophe Abdennour Bidar dans Comment sortir
de la religion, précise que:
L’avenir de l’humanité passera demain non pas seulement par la résolution de la
crise financière mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise
spirituelle sans précédent que traverse notre humanité tout entière !
Cette crise
devra se résoudre à la base par la question de la tolérance religieuse, et plus
largement que la tolérance l'acceptation, car tolérer est encore une
accommodation trop tiède, mais surtout dépasser le carcan religieux et le
remplacer par l'aspiration pour un idéal de l'unité humaine transcendant toutes
religions, respectant l'être humain dans toute son intégrité, y compris son
aspiration intime pour l'élévation de sa conscience.
En effet, un
avenir de l'humanité ne pourra se résoudre que dans une unité respectant l'être
humain dans toute sa diversité et dans son inspiration personnelle à se relier
au transcendant, à son appel intérieur pour incarner dans la vie terrestre les
hauteurs de joie, de lumière, et d'amour pressentie au plus profond de son âme.
Sylvère
Quelques suggestions de lectures:
Dalai
Lama
-Au-delà de la religion, une éthique pour le nouveau millénaire
- Islam, christianisme, judaïsme... Comment vivre en paix ? - Ou comment
les religions vont enfin pouvoir s'entendre
Abdennour
Bidar
-Comment
sortir de la religion, Paris, Éditions de La Découverte, Avant-Propos, 2012
Sri
Aurobindo
L'idéal de
l'unité humaine