Socrate, ses deux épouses et Alcibiade, Blommendael, Musée des Beaux-arts Strasbourg Reyer Jacobsz. Van Blommendael (Alcibiade, Myrtonne, Xanthippe, Socrate) |
Découvrons avec ces deux petits extraits la célèbre "injonction" de Socrate qui a été la maxime fondatrice de toute l'histoire de la philosophie. En méditant profondément ces textes, que découvrons nous ? Simplement que Socrate n'a pas de méthode. Les penseurs, les savants, les philosophes attitrés, les académiciens de tout poil ont voulu lui en attribuer une et, de-là, définir ce qu'était la philosophie.
Socrate n'a pas fondé un système. Ami de la sagesse, aimanté par elle, vivant
par elle et pour elle, il a été le révélateur de la présence consciente à ce qui
est, à l'autre, s'interrogeant sans relâche sur les évidences et les
questionnant pour en dévoiler la vérité inhérente. Socrate n'a pas été le
fondateur de la philosophie classique. Socrate n'a rien écrit, tout comme Jésus
Christ ou le Bouddha. L'un n'a pas fondé la "religion" philosophique pas plus que
les deux autres n'ont fondé de religion chrétienne ou bouddhiste et encore moins d'église. Être au plus
profond de soi est le coeur de la vérité. La liberté tel est leur point commun, et le pont qui les relie. C'est cette simplicité qui leur a
valu, à Socrate et Jésus, d'être condamnés, empoisonné pour l'un, crucifié pour l'autre. Que savons nous de plus? L'un avait
pour meilleure amie Aspasie, l'autre Marie la Magdaléenne, et Bouddha a trouvé la voie du milieu grâce à Sujata, une femme paysanne. Il faudra attendre
de nombreux siècles plus tard pour que la liberté accordée aux femmes dans de nombreux pays soit effective, notamment au
pays des droits de l'homme avec leur droit de vote pour lequel elles ont dû se battre... La citoyenneté,
l'égalité et la liberté se conjuguent au féminin. La fraternité, ou l'amitié
universelle, découlera de cette reconnaissance. Au plus profond de l'être, dans les entrailles de la matrice mature l'être en devenir...Un retournement sur soi, en soi, dans son intériorité est la voie de l'humain vers la sagesse.
Sylvère
I
«
Dis-moi, Euthydème, as-tu jamais été à Delphes ?
— Deux fois, par Zeus
! — Tu as donc aperçu l'inscription gravée
sur le temple : connais-toi toi-même? — Oui, certes.
— N'as-tu pris aucun
souci de cette inscription, ou bien l'as-tu remarquée, et as-tu cherché à
examiner quel tu es ?
—
Non, par Zeus ! vu que je croyais le savoir parfaitement :
car
il m'eût été difficile d'apprendre autre chose, si je me fusse ignoré
moi-même. — Penses-tu donc que, pour connaître quel on est, il
suffit de savoir son nom, ou que, semblable à ces acquéreurs de
chevaux qui ne croient pas connaître la bête qu'ils veulent
acheter, avant d'avoir examiné si elle est obéissante ou rétive, vigoureuse ou
faible, rapide ou lente,
— enfin tout ce qui
fait les bonnes et les mauvaises qualités requises pour les services d'un cheval,
celui seul qui a examiné quel il est pour le
parti qu'on peut tirer d'un homme, connaît sa propre valeur ? — Il me semble d'après cela que ne pas connaître sa valeur, c'est s'ignorer soi-même. —
N'est-il pas évident encore que cette
connaissance de soi-même est pour
l'homme la source d'une infinité de biens, tandis que l'erreur sur son propre compte l'expose à mille
maux ? Car ceux qui se connaissent
savent 'ce qui leur est utile ; ils
distinguent ce qu'ils peuvent faire de ce qu'ils ne peuvent pas : or, en faisant ce dont ils sont capables, ils
se procurent le nécessaire et vivent heureux ; en s'abstenant de ce qui
est au-dessus de leurs forces, ils ne
commettent point de fautes et évitent
le mauvais succès ; enfin, comme ils sont plus capables de juger les autres hommes, ils peuvent, grâce au parti qu'ils en tirent, se procurer de grands biens
et s'épargner de grands maux. Au
contraire, ceux qui ne se connaissent pas
et qui ignorent leur valeur sont dans la même ignorance à l'égard des hommes et des affaires humaines : ils
ne savent ni ce qu'il faut, ni ce
qu'ils font, ni de qui ils se servent ; mais, abusés sur tout, ils laissent échapper le bien et tombent dans
le malheur. »
— XÉNOPHON, Mémorables,
IV, II, 26. (Trad.
Chambry, Éd. Garnier.)
II
SOCRATE - Maintenant, quel
est l'art par lequel nous pourrions prendre soin de nous-mêmes
ALCIBIADE - Cela, je
l'ignore.
SOCRATE - En tous cas,
nous sommes d'accord sur un point ; ce n'est
pas par l'art qui nous permettrait d'améliorer quelque chose de ce qui
est à nous, mais par l'art qui nous améliorerait nous-mêmes.
ALCIBIADE - Tu as raison.
SOCRATE - D'autre part, aurions-nous pu reconnaître quel art
améliore les chaussures, si nous ne savions pas ce que c'est que la chaussure ?
ALCIBIADE - Impossible.
SOCRATE - Ou quel art améliore les bagues, si nous ne savions
pas ce que c'est qu'une bague ?
ALCIBIADE - Non, vraiment.
SOCRATE
- Alors, l'art de se rendre soi-même meilleur, pourrions-nous le connaître,
sans savoir ce que nous sommes ? ALCIBIADE - Non, cela n'est pas possible.
SOCRATE - Seulement, est-ce chose facile de se connaître soi-même ? Et celui qui a mis ce précepte au temple de Pytho était-il le premier venu ? Ou bien est-ce une tâche malaisée,
qui n'est pas à la portée de tous?
ALCIBIADE - Pour moi, Socrate, j'ai cru maintes fois
qu'elle était à la portée de tous, mais quelquefois aussi qu'elle
est très
difficile.
SOCRATE - Qu'elle soit facile ou non, Alcibiade, nous sommes toujours en présence de ce fait : en nous connaissant, nous pourrions connaître la manière de prendre soin
de
nous-mêmes ; sans cela, nous ne le pouvons pas.
ALCIBIADE - C'est très juste.
PLATON, Alcibiade,
128 d - 129. Trad.
Croisez, Coll. Les Belles Lettres, Éd. Budé.)