Trop souvent dans la
recherche spirituelle il est exclusivement question d'intégrer notre dimension
humaine et divine. Certes, c'est déjà une grande avancée, fruit d'une évolution
spirituelle dont la nécessité est de considérer l'homme dans sa dimension
divine tout en reconnaissant son humanité. Mais pour faciliter cette
intégration il est nécessaire de plonger en soi dans les racines évolutives de
notre humanité, racines qui incluent les éléments vitaux en nous, consécutif de
la courbe évolutive parcourue depuis le minéral jusqu'à l'homme en passant par
le végétal et l'animal. Cette part animale en nous est ce qui nous relie le
plus directement avec cette partie vitale, avec les différents stades de
l'échelle évolutive que nous portons en notre être. Cette présence des forces
de la nature par le biais de la présence animale a été occultée, anéantie même
par les grandes religions monothéistes afin de servir les intérêts d'un dogme
au service de l'avoir et non de l'être.
Le divin fût lui-même
relégué dans des sphères inaccessibles, et pour le rendre encore plus
inaccessible, les anciennes pratiques du paganisme ont été détruites,
substituées ou diabolisées, opérant un double mouvement de rejet à la fois
extérieur par le rejet des forces de la nature, et à l'intérieur par le
refoulement de la part animale sur laquelle s'est fondée l'étape humaine de
l'évolution. Rejetant la nature, la religion rejetait aussi le corps dont les
fonctions étaient par trop naturelles pour être intégrées dans la réalité
divine. En excluant l'animal et les forces de la nature dont l'animal
servait de médiateur direct, on reléguait aussi au rang des oubliettes la vie
végétale et minérale qui ont servi aussi de base évolutive pour la vie,
jusqu'au développement humain actuel. La spiritualité devint un moyen de fuite
hors d'un monde voué à être ainsi pour l'éternité une sorte d'enfer
inextricable. Les notions de salut, de libération, de nirvana, se sont forgées
et affirmées comme seuls horizons de notre âme, comme seuls buts de l'existence
et de la quête spirituelle. La matière perdant alors son sens véritable. Cette
perte du sens véritable du pourquoi de la matière et du monde manifesté a
induit une spiritualité unijambiste, qui propose à l'homme une réalisation bancale
où le but est de se libérer hors de la manifestation, synonyme d'ignorance,
d'illusion, d'attraction, de pesanteur spirituelle, de perdition. Hors, cette
coupure est en elle-même une nescience du divin dans sa totalité et du pourquoi
de tout ce qui est, car le divin est présent et à la source de tout ce qui est.
Une réalisation dans un aspect intégral du divin inclue donc une réalisation de
l'unité de la matière en notre corporalité même, en nos cellules sans
discontinuité avec toute la matière de l'univers manifesté, offrant ainsi une
libération bien plus complète que la seule libération au plan de l'âme, dans
une identification à la Conscience témoin et Absolue ou autres aspects du
divin, réellement essentiels et incontournables, mais néanmoins incomplets.
Voilà pourquoi la courbe ascendante de l'évolution doit être réintégrée en
nous-mêmes en retournant dans la courbe descendante de l'évolution pour
intégrer tous ces niveaux à la lumière de notre supraconscience. Bien que ce
but puisse de prime abord sembler inconcevable et lointain pour notre mentalité
, il n'en est pas moins logique de par l'intuition que nous pouvons en avoir,
et vérifié par la voie même que Sri Aurobindo a tracée. Commencer par concevoir
une unité de toute vie en nous et une intégration ainsi qu'un respect de toutes
les formes de vie que nous portons en nous même, tout autant qu'à l'extérieur
de nous-mêmes, puisque tout est inclus dans notre conscience; et que
conscience, matière et énergie sont un continuum, concevoir cela est un premier
pas pour une spiritualité qui se voudra intégrale et véritablement
transformatrice. Dans cette optique certaines expériences à caractère
chamanique peuvent se manifester et trouver toute leur place et aussi leur
sens. L'expérience spontanée d'un animal tutélaire au cours du développement
spirituel ne signifie pas tant une reliance et une affinité avec l'univers des
pratiques shamaniques et un engagement à prendre en ce sens, qu'une ouverture à
diverses possibilités spirituelles de se relier au Tout et d'en faire
expérience par des voies que seul le divin ouvre pour nous afin de Le découvrir
et de Le réaliser par d'autant de chemins possibles et dans le but d'un
développement spirituel intégral autant que faire se peut. Les animaux chez les
peuples Dénés par exemple, existent bel et bien comme des créatures
spirituelles, possédant une âme de même nature que celle des humains et ont un
esprit qui leur permet de rêver et de chamaniser. Ces approches sont
corroborées par les recherches modernes. Ainsi, l'anthropologue Philippe
Descola émet la même idée en précisent que « les Indiens considèrent
toutes les espèces vivantes comme des personnes, donc comme des voisins, alors
que l'orientation environnementaliste et écologique insiste pour protéger ces
espèces ». C'est cependant un premier pas salutaire, et une prise de
conscience que l’humanité devra rapidement effectuer. En effet, comme le
souligne l'anthropologue Pascal Picq : « Pourquoi préserver la
biodiversité? Parce que l'évolution d'une espèce ne peut être isolée des autres
espèces, des plantes, des climats, des milieux. Moins il y a de biodiversité,
plus on risque l'extinction de tous les humanoïdes. » Dans ce rapport
de réciprocité entre les espèces, Philippe Descola précise que « Les
Indiens Achuars développent avec le gibier des relations d'affinité, une sorte
de rapport de parenté sans consanguinité comme celui que l'on a avec son
beau-frère. » Il en est de même chez les peuples d'Afrique : « Pour
les Bodis, peuple de pasteurs et de guerriers d'Éthiopie, le bétail
n'appartient pas au monde animal, mais à celui de l'espèce humaine. Chaque
individu choisit son bovin favori auquel il s'identifiera toute sa vie ».
Ces idées sont corroborées par le père de l'écologie moderne, l'estonien Jakob Johann von Uexküll avec le
concept de l' Umwelt (monde vécu) qui présuppose une
pluralité de mondes distincts et communicants, alors que la science voyait
avant lui un monde unique contenant en lui-même toutes les espèces vivantes
ordonnées selon une hiérarchie qui les subordonne à la position de l'homme. Le
philosophe et éthologue Dominique Lestel, dont la démarche « consiste à
repenser qui nous sommes en nous replaçant dans le vivant et non plus contre
lui » et de « soutenir une façon de penser l'humain qui ne
passe pas pas par le propre de l'homme et qui caractérise ce dernier comme un
animal particulier et non comme un homme spécial », émet l'hypothèse
que « l'homme est devenu humain à travers ses agencements avec
l'animal, en inventant des façons de vivre en commun, et non en se séparant de
lui ». A la question de savoir si l'on peut par
conséquent considérer qu'un animal est une personne, Dominique Lestel dans le
hors série de Télérama « Bêtes et Hommes, je t'aime, moi non plus »
publié à l'occasion de l'exposition du même nom à la grande Halle de la
Villette en 2007- 2008, répond que « oui, si on le fait avec précaution
» (...), « que tout animal, y compris une bactérie est un sujet,
car tout animal interprète le monde dans lequel il vit et aucun n'a jamais pu
être caractérisé de façon satisfaisante comme un système mécanique »
et que « certains animaux sont de surcroît des individus ».
Nous voyons donc l'importance de reconsidérer le rapport au monde vivant, aux
espèces cohabitant les unes avec les autres sur la planète Terre et évoluant de
concert, de reconsidérer ce rapport tant au niveau écologique, mais aussi
relationnel dans notre équilibre physique, aussi bien que psychique,
psycho-affectif, et spirituel. Ces idées ont une portée très intéressante et
fondamentale qui rejoint le mode d'appréhension du réel des peuples amérindiens
pour qui les animaux sont donc à juste titre considérés comme des gens ou
personne. C'est pourquoi dans ces civilisations il est question de gent-animale
et les pratiques dites chamaniques vont consister à expérimenter cette réalité
de reliance aux animaux pour approfondir le lien spirituel qui nous unis à eux,
recevoir les bénéfices qu'ils peuvent nous transmettre dans notre vie
quotidienne et surtout dans la capacité à nous donner le pouvoir de réalisation
d'union au « Grand Esprit », à l’Être suprême, au divin.
Au cours de notre
développement spirituel, il est tout à fait possible de rentrer en contact avec
des aspects du Divin et d’en faire l’expérience au sein de notre
conscience.
Nous pouvons rentrer
consciemment en contact avec de nombreuses formes représentant un aspect du
divin. Ce contact, cette reliance, peut aussi s'établir par l'intermédiaire des
formes du monde vivant, qu'elles soient humaines, animales, végétales,
minérales, voir même aussi au travers de simples objets. Nous pouvons trouver
ici les fondements des pratiques dites chamaniques, chamaniques au sens d'une
expérience consciente avec la Conscience de tout Ce qui Est et que
tout ce qui constitue le monde manifesté est habité par cette conscience et
peut en être un pouvoir d'expression, chaque créature étant en son essence un
médiateur de ce pouvoir d'expression. La "shaman" percevant la Nature
comme le corps du divin et entrant en relation avec elle et ses habitants pour
s'unir au divin. C'est par une communication spirituelle avec ces formes que
celles-ci nous transmettent des qualités pour notre conscience. Qualités
d’alignement, de régénération, d’expansion...Nous voyons là que la prise en
compte de la forme et l’invocation des formes (entités vivantes physiques ou
non-physiques, ou objets) représentatives du divin ou participant de sa nature,
peuvent nous donner la capacité d’entrer en contact avec le divin dans son
essence, peuvent nous donner la capacité de nous éveiller à la réalité ultime,
car c’est bien cela dont il s’agit essentiellement, quelle que soit la pratique
suivie.
Sylvère